Vengeance


 

 

Un Etat sans police n'est plus qu'un territoire. En Iran il n'y a plus de police. Un territoire sans armée est un désert ou un terrain de jeu. En Iran l'armée a explosé et s'est faite dépouiller de son autorité, de son aptitude à faire la police. Armés et ingouvernés les gueux d'Iran sont indésarmables et ingouvernables. La critique, la passion et à chacun la même arme, voilà ce qui distingue l'homme libre.

L'islam est une idéologie construite pour subjuguer de tels guerriers par le verbe, puis leurs ennemis par l'épée. Aucun homme n'ose prétendre s'être soumis cette pensée ; quand cette pensée a commencé d'exister en se soumettant les hommes les plus rudes de son temps ! Mais notre temps est devenu plus rude encore que celui de Mahomet. Car, si les idéologues de l'islam ont été les seuls à espérer s'imposer aux émeutiers de Téhéran, les émeutiers de Téhéran n'ont jamais été réduits par le verbe, qui était leur arme, mais par l'épée, qu'il a fallu leur planter dans le dos.

La première mesure de ces idéologues est de vouloir rétablir l'Etat. Le premier fait du rétablissement de l'Etat est de disposer de la coercition, c'est à dire des armes. La seule consultation islamique, au sens traditionnel du terme, c'est à dire s'adressant aux guerriers libres, avec l'unique autorité de la connaissance et de la supériorité spirituelle, a eu lieu dès le 13 février 1979 : c'est le second discours public de Khomeyni depuis la chute du dernier gouvernement nommé par le shah. Pas davantage que dans le premier, la veille, qui commence par ce premier point qui présuppose une police, « tout acte d'incendie ou de sabotage équivaut désormais à un acte de trahison... », on n'y trouve d'hommage aux victimes, d'éloge ou de programme des vainqueurs ; mais cet ordre, dont l'absence de buts avoués souligne les buts cachés, où l'autorité du ton se substitue à l'autorité des arguments, et où la violence du verbe a pour fonction de dissimuler la violence de l'angoisse : ceux qui refusent de rendre les armes seront considérés comme « ennemis de l'islam et de la révolution ».

Ainsi parle-t-on aux esclaves qui ont peur des sbires d'un shah, mais pas aux gueux libres qui les ont vaincus les mains nues. Le 12, selon des chiffres invérifiables, 300 000 armes à feu étaient distribuées dans Téhéran ; une semaine plus tard, 1 500 000 dans tout l'Iran ; 6 % seulement auraient été restituées à la suite de cet appel et des suivants. Voici ce que signifient ces chiffres rares, qui n'ont pas besoin d'être officiels pour être éloquents et qu'il n'aura pas suffi de taire (ce qui, malheureusement, est le meilleur indice de leur vérité) pour occulter : 6 % des guerriers libres seulement soutiennent Khomeyni. C'est trop peu pour reconstruire une police. Qu'importe, en guerre civile, la foule des figurants qui ont gonflé le défilé du 1er février, mais qui n'ont pas osé prendre les armes ? Les auteurs de l'appel de Khomeyni, les utilisateurs de son autorité, savent désormais qu'ils ne pourront désarmer le mouvement qu'en le suivant, à l'usure, en approuvant ses outrances pour les enrayer, en le divisant, en le distrayant, en harcelant les attardés, prétendant toujours le guider, mais l'égarant, l'embourbant si possible pour briser son rythme. Par ailleurs : pourquoi les insurgés n'ont-ils par rendu les armes ? Les derniers complices du shah, lui-même traqué, ne sont plus à craindre. N'ont-ils pas confiance ? Comptent-ils se servir de leur arsenal ? Pourquoi ? Comment ? Quand ? Contre qui ?

A partir de la révolution russe, les Etats se sont considérablement renforcés contre leurs citoyens. Ce siècle a vu se réaliser les cauchemars les plus pessimistes de Kafka, puis les plus sinistres d'Orwell. Le contrôle de plus en plus tatillon de tous les aspects de la vie sociale et même de la pensée, sont bien le contraire d'un perfectionnement raffiné de la civilisation, bien plutôt, par la rigueur bornée dans les détails, d'absurdes mais implacables mécanismes et l'absence générale de passion, ce qu'il y a de méprisable dans la barbarie. L'Etat moderne, a, pendant ce siècle, produit plus de barbares modernes que l'antiquité n'en a jamais connus. Plus l'Etat ainsi carapacé tombe, plus il tombe de haut, et plus il tombe de haut, plus il libère une intensité davantage contenue : ce qu'il y a au contraire de noble dans la barbarie, la vengeance, que la pudeur appelle l'épuration, s'est manifestée de façon croissante de Budapest en 1956, en passant par Lisbonne en 1974. D'abord, son objet avoué est la police secrète du régime déchu ; puis, le sommet de la hiérarchie sociale ; puis, si on la laisse faire, elle s'étend aux indicateurs de cette police ; puis, comme une épidémie, elle dévale toute la hiérarchie ; et c'est toute la classe des valets qui est ainsi menacée, parce qu'on ne devient valet que nommé par des supérieurs hiérarchiques et non pas par ses pairs à la base. L'épuration comme critique de la hiérarchie est l'action révolutionnaire qui cristallise la classe des valets : même les chefs de l'opposition au shah ont dû pactiser à un moment ou à un autre avec son régime : comment croyez-vous qu'on devienne avocat, professeur, gros commerçant, voire ayatollah, et qu'on le reste sans s'être compromis avec une dictature aussi serrée, et qui dure depuis cinquante ans ?

Voici donc, pour tous les valets, les termes du premier, du plus impérieux débat dès la fin de l'Empire : comment endiguer et interdire la vengeance à ces gueux armés, sans passer pour leurs ennemis, sans passer par leurs armes. Le décalage entre la fureur des gueux, justifiée par les exactions du tyran mais fondée par le plaisir d'expérimenter ainsi leur souveraineté, et l'embarras inquiet des représentants autonommés des valets, est le même que lors du Vendredi Noir, des journées de février, et qu'entre la pensée pratique du mouvement insurgé et l'idéologie islamique chargée de le rattraper. Il est nécessaire de le souligner parce que tous les ragots sur l'Iran présentent l'épuration comme l'agression sanguinaire d'un groupe de dirigeants atrocement pervers, malgré la modération d'un autre groupe de dirigeants, démocrates, libéraux et censés. En réalité, les valets ont mis en scène leur tactique la plus ancienne et la plus efficace : ils se sont scindés spectaculairement pour médiatiser tout aussi spectaculairement ce débat sur la vengeance. Le 10 mai, l'ignorante candeur d'un journaliste nous confie un peu tard : « Les principaux dirigeants de la nouvelle république se sont distribués les rôles : les uns tiennent un langage militant, voire agressif pour conserver la confiance des masses ; les autres assument le rôle ingrat dans ce pays qui consiste à réclamer la vie sauve pour les tenants de l'Ancien Régime. » Selon quoi se sont-ils scindés ? Selon la proximité de la menace : côté « langage militant », les religieux les plus persécutés sous le shah, avec à leur tête Khomeyni, dont les complicités avec l'Etat qui vient de tomber (par exemple avec ses généraux dans la première semaine de février) paraissent encore négligeables par rapport à l'acharnement irréductible, à la prison et à l'exil, qu'il a vécus depuis la naissance d'au moins trois Iraniens sur quatre ; côté « rôle ingrat », les notables laïcs derrière Bazargan, ce fumier qui cache alors son vieux compère sanglant Bakhtiyar, et que les gueux ont manqué de peu dès le 14 février. Hors d'Iran, comme un seul homme, on soutient Bazargan dans cette pseudo-dispute, parce que l'écrasante majorité des valets s'identifie davantage à lui qu'à Khomeyni. C'est un débat de polichinelle qui tente alors d'amuser des vengeurs masqués : « rôle ingrat » : ne cédons pas, je vous prie, à nos bas instincts ; restons raisonnables : l'administration est pleine de spécialistes capables et utiles au pays ; ils ont peut-être eu un peu les sens brouillés, et d'ailleurs, sous le shah, n'était-on pas un peu contraint de collaborer ? « Langage militant » : comment, chenapan ! Vous et vos impérialistes amis protestez contre la juste punition de quelques faquins selon nos justes lois ! Eh, qu'est-ce, s'il vous plaît, que 80 coups de fouet pour un trafiquant d'héroïne qui a plusieurs vies sur la conscience ? On entendait moins vos cris indignés quand des milliers de victimes étaient massacrées par ces quelques rares tortionnaires que nous sommes bien obligés maintenant de condamner à mort ! (Le sophisme de cet argument très répandu consiste en ceci : les victimes de la SAVAK le furent avant que l'Iran n'entre dans l'histoire. Par contre, chaque victime d'après le 15 février est au centre d'une question historique. C'est un compliment involontaire du spectacle d'être obligé de s'en indigner. Et comme c'est donc un compliment à ceux qui ont fait l'histoire, les « langage militant » qui la subissent alors, s'en passeraient volontiers.)

Alors qu'on commence à fusiller des généraux (16 et 20 février), Khomeyni appelle les mojahedines, vainqueurs des fedayines, à garantir sa défense et celle de l'Etat (20 février), « aider l'armée et la police à maintenir la loi et l'ordre et à écraser les bandits ». Début mars « le fait est que des fusillades ont lieu toutes les nuits, faisant grand nombre de morts » pendant que les tribunaux islamiques, souvent constitués spontanément, bien trop spontanément pour tous ceux qui sont trop mouillés pour ne pas craindre leur manque de contrôle, continuent à condamner dans l'allégresse, sous la pression de la rue. Dans la nuit du 13 au 14 mars, on signale 11 exécutions, et pour la première fois « des politiques » qui n'auraient pas de sang sur les mains. Il s'agit en fait de responsables de la télévision du shah, menteurs infiniment plus dangereux qu'un régiment de gardes impériaux en chaleur. Cette exécution signifie que les tribunaux islamiques, au contraire de réfréner la vengeance des gueux, sont dans certains cas devenus leurs instruments, d'autant plus redoutables qu'institutionnalisés.

On se figure la panique chez les valets ! Le même jour, la peine de mort est requise contre l'ancien premier ministre, escroc par excellence, Hoveyda ! Son successeur actuel, Bazargan, affolé, intervient auprès de Khomeyni, par l'organe duquel il suspend les exécutions et les procès politiques, le 16 mars. Cette interdiction, qui ne peut toucher que les tribunaux, est plutôt une façon de se dédouaner qu'un coup de bluff, et plutôt un coup de bluff que la preuve d'une autorité retrouvée. Les particuliers la nuit, les comités au crépuscule, et parfois même les tribunaux en plein jour, passent outre sans que personne n'ose les en empêcher. « ... une délégation constituée par le procureur de Téhéran, des représentants du tribunal révolutionnaire et des "gardiens de la révolution" se rendit à Qom et somma l'imam Khomeiny de permettre la reprise des exécutions capitales. "Si vous ne le faites pas, nous tuerons tous les prisonniers sans autre forme de procès", lui dirent alors les membres de la délégation. Cet épisode dramatique que narre brièvement M. Bazargan – et que nous ont rapporté avant lui dans le détail des personnalités proches de l'ayatollah Khomeiny – a failli déboucher sur des émeutes. "A Ispahan par exemple, nous dit le président du conseil, la population a pris d'assaut la prison centrale et a massacré plusieurs responsables de l'ancien régime." L'imam Khomeiny aurait alors dit à M. Bazargan : "Pour l'instant, nous n'avons pas le choix. En attendant l'apaisement qui couronnera vos efforts, les procès devront se poursuivre." » De plus, dans le Pakistan voisin, premier pays à loi islamique, on se prépare à l'exécution d'Ali Bhutto, et tout au début d'avril, les gueux d'Iran n'arrivent pas à comprendre pourquoi Hoveyda aurait moins mérité la mort que Bhutto. Le 5 avril, jour du supplice de Bhutto, paraît un « code pénal islamique », dont l'absence avait été la justification officielle pour l'arrêt des exécutions. Le 6, la levée de l'interdiction des exécutions consacre le spectacle de la scission de la fraction Khomeyni et de la fraction Bazargan. Le 8, Hoveyda passe à la trappe dans le tollé international qu'on imagine : un homme à la table duquel tous les dirigeants du monde ont soupé ! L'exécuter, c'est menacer tous les dirigeants du monde !

Maintenant qu'il y a une loi, il faut une police. Le 19 avril on réinstaure un corps public de ce nom, par l'interdiction faite à tout autre corps, et donc aux comités, de procéder à des arrestations. Ces terribles comités sont également sommés de répondre à un questionnaire sur leurs participants. Enfin pour arracher la loi à l'immédiateté de la rue en la revêtant de dignité officielle, la télévision, depuis mi-avril, retransmet des procès, garantissant ainsi une transparence lourdement exigée hors d'Iran, où, soit panique, soit démagogie, soit bêtise, on reste absolument sourd aux difficultés quasi insurmontables des récupérateurs, et où on leur reproche avec impatience d'être incapables d'établir soudain la quiétude fourbe et morne dont tous les valets voudraient la terre recouverte. Lien entre les vieux Etats du monde et le nouvel Etat iranien, Bazargan, confronté à l'impatience et à l'incompréhension des gueux, ne trouve que la même impatience et incompréhension auprès de ses semblables. Le 15 mai, au moment où le shah, Sharifemami, Azhari et Bakhtiyar sont enfin condamnés à mort par contumace (ce qui ne coûte pas cher et plaît), une interview, où il tente de conjurer au moins le bon sens des informateurs, ne fera que transformer leur éventuelle ignorance sur le fond de ce qui se passe en Iran, en mauvaise foi, sous le masque de la même vertueuse indignation. Et pourtant, cette fois-là, Bazargan plaide avec la sincérité que donne le désespoir : « L'Imam m'a dit : votre intervention serait bénéfique à terme. Mais en attendant, les tensions sont telles que si nous n'exécutons pas les coupables, le peuple risque fort de se livrer à des massacres... Le président du conseil iranien se plaint à ce propos de l'ignorance de la presse occidentale. Vous ne concevez pas, dit-il avec force, à quelle fantastique pression populaire nous sommes soumis, tous sans exception. La fièvre révolutionnaire n'est pas tombée depuis la chute du Shah, bien au contraire. La vague de fond qui a balayé le régime impérial poursuit sa course impétueuse et cherche à tout détruire sur son chemin. » Ce jour-là, Khomeyni demande que cessent les exécutions capitales à l'exception des « personnes dont il serait prouvé qu'elles ont tué ou torturé à mort », puis la semaine suivante fait libérer 700 détenus dont 70 anciens parlementaires. Mais le jour même, voici le désaveu : « La presse signale des manifestations en province demandant l'exécution d'anciens tortionnaires ou responsables locaux de la SAVAK. »

A partir de début juin, les fronts se stabilisent. D'un côté, l'épuration sauvage, et sa forme modérée, les demandes excessives ; de l'autre, la lutte acharnée pour policer cette épuration ; et entre les deux, comme tampon et terrain d'affrontement, les tribunaux islamiques. Le scandale de la vengeance, s'il ne régresse pas encore, ne progresse plus. Les informateurs étrangers, dont le rôle est éminent, ne peuvent plus faire de copie avec l'inflation monotone de sentences identiques, quand elles sont dans le loi, même islamique, et leurs entrefilets, apparemment résignés et réellement soulagés, deviennent de plus en plus laconiques. Les dirigeants de l'Etat iranien, au contraire, léchés par les flammes, sont bien obligés de continuer à chercher des extincteurs. Le 26 juin, on interdit aux pasdarans d'arrêter des soldats ou des flics « pour délits mineurs », puis le 5 juillet, prétextant l'insécurité sur la frontière irakienne (qui est la révolte de la province pétrolifère du Khuzestân), Khomeyni proclame une amnistie pour l'armée et la police. Le 11 septembre, il faut de nouveau interdire aux pasdarans de se mêler des affaires du gouvernement en arrêtant des membres de l'administration. Enfin le 15 septembre, un décret-loi est censé contrôler l'épuration des Savakis dans l'administration (contre l'avis de Bazargan qui souhaitait leur impunité), et commence l'épuration des « corrompus » à l'université, qui doit rouvrir le 24.

La vengeance est un feu, la vengeance est un plaisir. La vengeance est aussi prompte que le revanchisme est durable, aussi joyeuse que la vindicte est aigre, aussi feu d'artifice que la rancune est économie, consomption intérieure, rongeuse et bourgeoise. La vengeance effraye plus parce qu'elle frappe librement que parce qu'elle frappe fort. A propos de l'Iran, il n'a jamais été question que du mot sanitaire d'« épuration » pour désigner cette pratique de seigneur. C'est sous ce même mot, à partir de fin juin, que la vengeance repue et épuisée passe insensiblement dans le revanchisme, la vindicte et la rancune. Grâce à la loi, et comme en témoigne le désintérêt grandissant de la presse, le feu brûlant s'est éteint et est devenu ce plat bourgeois qui se mange froid.

La vengeance est la première passion d'homme libre, d'homme enfin libéré. En Iran, elle a été le feu de paille de la fièvre révolutionnaire, chauffant l'âtre de violences plus profondes au moment de disparaître en fumée. Elle s'accommode mal d'institutions. Lorsque des individus s'adonnent à cette noble passion, ils n'ont besoin d'aucun intermédiaire et d'aucun délai. Ils se passent de prisons, ils ne retiennent pas leur jugement. Si un témoignage ou une certitude leurs manquent, ils prennent la responsabilité de les deviner, ou ils acquittent sur le champ. Si un gueux veut se venger, généralement il décide tout de suite et il oublie. Les tortures subtiles, les cruautés raffinées, sont, contrairement à ce qu'en pensent leurs victimes, des plaisirs très inadéquats à rendre un coup, une offense ou une humiliation : il est extrêmement rare qu'une vengeance soit compliquée, surtout dans l'énorme tension soudain libérée d'une révolution, où la première passion va à la satisfaction la plus rapide et la plus simple.

Dans l'islam, toute loi est loi de Dieu. Les faqihs sont ceux qui connaissent le mieux la loi de Dieu et qui sont appelés à l'appliquer. L'islam n'a pas besoin de Code pénal, et même, puisque le Coran et les traditions sont toute loi écrite, un code pénal est anti-islamique. Les hommes n'ont pas le droit d'émettre des lois, ils ne peuvent que les interpréter. Mais le néo-islam a besoin d'un Etat moderne autant que l'Etat a besoin d'un Code pénal bénit par l'idéologie dominante, d'où ce monstre appelé « Code pénal islamique ». Les gueux se sont laissé donner la loi. A la question, préférez-vous la loi islamique ou une autre, ils se sont distraitement laissé prendre au piège. Ils ont répondu, la loi islamique bien sûr parce que, là encore, seul l'islam, par sa loi du talion promettait de légaliser ce qu'ils pratiquaient déjà librement. La bonne réponse était la loi c'est nous, et nous allons vous en faire tâter, insolents valets, puisque vous êtes si préoccupés de la connaître et puisque, justement nous y sommes. A la guerre, se laisser donner la loi est synonyme de défaite. Aussi ne faut-il pas s'étonner que les troupes auxiliaires trahissent : les tribunaux, fraction modérée et légaliste des vengeurs avant le code pénal islamique, deviennent vite des bastions de l'arrivisme après, à mi-chemin de la rue, au milieu de laquelle ils siègent comme des thermomètres, et de l'Etat qui les paye pour garantir son idéologie : « Nous nous trouvons à un stade d'évolution sociale en Iran, où les actes seuls dispensent de les justifier et de les expliquer... ainsi donc, le tribunal islamique, s'il tient la mitraillette d'une main doit tenir la plume de l'autre... la victoire des faibles sur les forts est en même temps la victoire de l'unicité » – towhid – « sur l'athéisme » – sherk – (Tribunal islamique révolutionnaire, 24 avril 1979).

Mais la vengeance des gueux apaisée, les tribunaux ne se dissolvent pas. Les valets vont maintenant faire payer cher d'avoir eu si peur. La loi, et l'amplitude que la colère des gueux lui a donnée, les tribunaux pleins de valets d'autant plus vicieux et rageurs qu'ils n'ont pas trouvé meilleure cachette que dans l'ex-gueule du loup, et l'insouciance des gueux qui n'imaginent même pas de conséquences à leurs justes règlements de compte, vont maintenant se retourner contre eux. C'est la vengeance de la vengeance qui commence en rampant.

(Extrait de 'Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979', par Adreba Solneman, texte de 1988.)


 

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