Notes


 

56. Trinité-et-Tobago

Le 27 juillet 1990, un commando islamique, appelé Jamaat Al-Muslimeen, pénètre dans la Red House et y prend en otages le premier ministre Robinson ainsi que plusieurs membres du cabinet et députés. Une autre fraction de la même organisation occupe la télévision pendant qu'un troisième groupe attaque le QG de la police de la capitale Port of Spain, et l'incendie. Le soir même, l'armée et la police, fidèles au gouvernement attaqué, quadrillent les rues, échangent des coups de feu avec l'organisation islamiste, et commencent le siège des sites attaqués.

Trinité-et-Tobago, Etat insulaire des Caraïbes, ne compte que 1,25 millions habitants : un peu moins de la moitié sont des descendants d'esclaves noirs, presque autant des Indiens d'Inde, un sixième des mulâtres, et les 1,5 % restants des Blancs et des Chinois. La moitié de ce mélange est répertoriée chrétienne, le quart hindouiste, et les musulmans ne sont que 6 %. C'est pourquoi, lorsque ce commando islamiste tente de renverser le gouvernement, ce n'est pas l'islam qu'il va mettre en avant, mais un vertueux populisme anti-FMI, jusqu'à même se réclamer des émeutes au Venezuela voisin et en Argentine.

Dès le lendemain, 28 juillet, il y a deux lignes d'événements parallèles et distincts : prise d'otage, commando, islam, occupation de la télévision, en est la partie spectaculaire ; et un immense pillage, qui profite de ce que même les forces de l'ordre se braquent d'abord sur le show, et sera traité comme absolument secondaire par l'information occidentale. Mais les forces de l'ordre seront rappelées à l'ordre par la coalition des gestionnaires, du FMI aux milices locales en passant par le gouvernement des Etats-Unis, à savoir que le véritable danger n'est pas un changement de régime à la tête de l'Etat, mais l'agression incontrôlée des gueux contre la marchandise sans défense. Et si, après l'assaut initial du commando, toute cette saynète qui joue la tension pour l'information restera pacifique, la vraie bataille a eu lieu dans son ombre.

La petite aventure du commando n'a pas d'autre intérêt que sa capture de l'attention au détriment du pillage. Le 31 juillet, Robinson, qui a démissionné et promis beaucoup, est libéré, plus sauf que sain : il ne respectera aucun des engagements pris avec ses ravisseurs. Le lendemain, 1er août, le commando se rend, affamé, parce qu'ayant tablé sur une issue rapide il n'avait pas prévu de vivres. Les promesses d'amnistie faites aux 114 inculpés ne seront pas tenues.

De l'émeute, on suppose qu'elle commence le 28 juillet, puisqu'un couvre-feu est instauré ce jour-là, où « des dizaines de magasins ont été éventrés ». Le 29 juillet, le couvre-feu est étendu à vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et c'est le meilleur indicateur de la gravité de la révolte, qui semble d'ailleurs ignorer le commando et réciproquement. Voici comment la presse, en marge de la petite mise en scène islamo-gouvernementale évoque la négation radicale de la propriété marchande qui a lieu trois rues plus loin : « (...) d'épaisses colonnes de fumée s'élèvent encore du centre commercial de la ville « ; « Down town Eastern est un tas de ruines (...) » ; « Tous les magasins situés sur l'avenue W inston-Churchill, qui conduit de l'aéroport à la capitale, avaient été détruits et vidés. Dans le centre, les supermarchés, les pharmacies, les magasins d'articles radio et télé avaient été brûlés après avoir été pillés » ; «  (...) l'agitation a gagné les campagnes, où plusieurs postes de police ont été attaqués ». C'est donc ce 29 juillet que le mouvement était à son apogée.

Le 30 juillet encore, La police et l'armée tiraient à vue sur les pillards, seuls à défier le couvre-feu ». Et le 31, l'armée jamaïcaine débarque à Port of Spain « avec pour mission de mettre un terme aux pillages » ! Cependant, cet intervention d'un Etat voisin est plus symbolique de la complicité des Etats que d'un danger réel de soulèvement à en juger par notre baromètre qui baisse ce jour-là : le couvre-feu est ramené de 18 heures à 12 heures, laissant la population affamée se ravitailler parmi les ruines. Mais le 2 août encore, « la police a dû intervenir pour disperser des bandes de pillards à Port-of-Spain ». Le 9 août enfin, le gouvernement annonce que prise d'otages et émeute confo ndues ont fait 24 morts. Mais parmi les journalistes, « Certains parlent d'une centaine de victimes, pour la plupart des pillards abattus sans sommation ».

En conclusion à cette façon exemplaire de profiter d'une dispute de valets, et qui malheureusement comme le nuage de sauterelles de Panamá [cf. 10] huit mois plus tôt n'a pas embrayé sur une offensive encore plus significative, voici deux façons de supposer que la liberté est quand même allée au-delà de la simple émeute, la première par un valet gestionnaire, la seconde par une matrone émeutière, gueuse s'il en est :

« J'ai perdu tout mon stock, près d'un million de dollars. Je suis couvert s'il s'agit d'une émeute, mais rien n'est prévu en cas d'insurrection. »

« Ça a été l'orgie pendant deux jours, c'était comme le carnaval. »
 

(Texte de 1998.)


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