Notes


 

45. Centrafrique

Le 13 octobre 1990, une descente de police dans un meeting d'un comité de coordination pour la convocation d'une conférence nationale (ouf !) se termine en affrontements dans le centre de la capitale, Bangui. Si l'on ne sait pas très bien ce qui s'est passé le dimanche 14, il semble en revanche que le matin du lundi 15, les quartiers périphériques de Kilomètre 5, Fouh, Gobongo, Combattant et Fatima sont hérissés de barricades. Au moins une centaine de voitures officielles et plusieurs bâtiments publics sont incendiés. Le gouvernement reconnaît une quarantaine de blessés. Le général Kolingba, dictateur local, attribuera les émeutes à « un groupe d'aventuriers qui a tenté ni plus ni moins qu'une révolution » ce qui pose l'intéressante question de savoir ce qui serait plus qu'une révolution. Mais comme pour un Kolingba le putsch est la forme la plus usuelle de la révolution, il faut donc considérer que la gravité de ces trois jours d'octobre 1990 est mieux rapportée au travers de cette autre citation, « Tout cela avec un relent de tribalisme et de dissensions ethniques », déviation du débat vers la consanguinité, qui est le refuge instinctif des dictateurs des Etats issus de la colonisation : si tu me cherches, j'arme ma tribu, vaut mieux une guerre raciste qu'un changement de société.

Comme au Togo, après ce prétexte de conférence nationale de si bon ton en Afrique francophone en cette fin d'année-là, et qui autorise les moralistes de rechange, donc ceux qui n'ont pas encore eu accès à la corruption massive, à une turbulence modérée, appui de l'Occident libéral garanti, la suite des événements de rue n'aura lieu qu'au printemps 1991. Contrairement au Togo, le fil des événements n'est pas la colère des banlieues, mais un vaste mouvement de grève, dont le début semble avoir été déclenché le 22 novembre : elle est illimitée et porte sur des revendications salariales. Et le 29 avril suivant débute une grève des fonctionnaires, qui proclament chaque lundi ville morte », à l'image de ce qui se passe au Cameroun voisin, et l uttent contre des arriérés de salaires et des augmentations salariales. La différence avec le Togo, où l'émeute est l'essentiel dont la grève n'est que l'épiphénomène, le mouvement centrafricain est plus lymphatique, depuis que la grève, cette semi-passivité héritée de l'ex-mouvement ouvrier, est le moteur alors que l'émeute n'en est que le klaxon.

Il n'est donc pas étonnant que les deux jours d'émeute des 6 et 7 mai à Bangui, dont on ignore l'origine mais qui pourraient être en rapport avec la dispersion violente d'une manifestation étudiante le 4, aient été très sous-médiatisés. A part la trilogie typique, affrontements, barricades, magasins pillés, leur déroulement est resté occulté.

Le gouvernement essaie de briser la grève en autorisant le multipartisme imploré par l'opposition le 6 juillet, mais non sans maintenir le lock-out des fonctionnaires qui n'auraient pas repris le travail le 8. Aussi le 9, de nombreux dirigeants syndicaux sont arrêtés. Si les médias occidentaux cessent de signaler les progrès ou les capitulations de ces mouvements du travail, ils signalent toutefois l'arrestation, le 1er août, d'un petit chef syndicaliste étudiant. Cet événement est cité en prétexte aux combats de rue qui n'éclatent que quatre jours plus tard. Ce 5 août, un fonctionnaire français est également pris en otage (on sait que la France bouche les trous de la caisse publique du Centrafrique et que demander des augmentations de salaire ou des arriérés de salaire, c'est soit signaler que le d irecteur de filiale Kolingba s'est servi au passage, soit demander une augmentation directement au patron, en sautant le service du personnel local), et le syndicat des travailleurs USTC appelle à une grève de quarante-huit heures, celles dont on sait qu'elles épuisent davantage les grévistes que leurs employeurs, et qu'elles peuvent diviser des insurgés.

Le lendemain 6 août est une journée insurrectionnelle dont la portée a été occultée au moins jusqu'à la fin du mois, lorsque, seule information à ce sujet, on apprend par l'opposition que l'armée a fait alors 20 morts.


 

(Texte de 1998.)


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