Notes


 

44. Togo

Le mouvement de révolte au Togo a largement échappé à la visibilité parce que c'est une série de six ou sept événements dont chacun compte entre un et trois jours d'émeute et qui s'étage d'octobre 1990 à fin 1991. Il est donc à la fois trop long pour toute l'information, quotidienne et périodique, et trop ramassé pour les pseudo-historiens. C'est cependant cette information qui en a rendu compte, mais sans jamais de recul. On y observe donc deux biais : le premier est le parti pris outrageux des informateurs pour l'une des deux tendances ennemies de la rue, le parti de la récupération, l'autre étant le parti de la répression ; et le second, quoique ces informateurs parlent parfois du Togo comme si c'était la Côte d'Ivoire, est la façon curieuse dont transparaît la petitesse géographique et dém ographique de cet Etat par le style agence de presse, qui prend rapidement le dessus sur les informations plus détaillées, ce surcroît occasionnel de détails n'étant d'ailleurs pour ainsi dire que la prise de parti précitée. C'est comme si, tant que cette révolte se limite à ce petit Etat, il n'y pas grand intérêt d'en parler, et tant qu'il s'agit de défendre la démocratie des Etats occidentaux, ingérente et bien-pensante, on doit oublier que le Togo est si petit.

En effet, le Togo ne compte que 3 millions d'habitants, et s'il s'étend sur six cents kilomètres du Nord au Sud, c'est sur à peine cinquante kilomètres d'Ouest en Est. La petitesse du Togo va s'avérer à la fois une limite du mouvement et, à l'inverse, un danger potentiel d'une explosion de tout le golfe de Guinée. Economistes et politiciens avaient depuis longtemps travaillé à faire de ces faibles dimensions un atout conservateur comme l'atteste un article paru dans 'le Monde' en septembre 1990, sorte d'ahurissant satisfecit décerné par une autorité suffisante et d'autant plus ridicule qu'elle s'est évidemment trompée sur toute la ligne : Bon élève, mais sans grands moyens, stable politiquement, libéral à souhait, rééquilibré, assaini, le Togo constitue sans doute l'un des meilleurs “cas” d'Afrique noire. Force est pourtant de constater que ses perspectives de décollage sont quasiment inexistantes... “Il peut survivre longtemps sans drame, conclut un fonctionnaire, c'est un si petit pays...” » Les adversaires du dictateur Eyadema, au pouvoir depuis son putsch, vingt-trois ans plus tôt, auront particulièrement apprécié le « libéral à souhait ».

Et dès avant le 5 octobre 1990, ils auront entamé de ruiner le stable politiquement. Ce jour-là en effet, les sympathisants de deux personnes accusées d'avoir distribué des tracts hostiles à ce général président sont expulsées du palais de justice de Lomé par l'armée. Furieuse, cette petite foule devenue « quelques centaines » de jeunes attaque deux commissariats. Après plusieurs heures de combats, notre bon élève qui le mois précédent pouvait survivre encore longtemps sans drame reconnaît avoir fait 4 morts dans les rangs de sa population. L'opposition, interdite, prétend qu'il y en a eu au moins 25. Une partie des 170 interpellés du jour sera relâchée le 15 octobre. Et, « Le 1er décembre 1990, une grève des chauffeurs de taxi se solda par deux morts et des dizaines de blessés dans plusieurs villes du pays ».

La suite se fera attendre plus de trois mois. C'est le 13 mars 1991, lorsque des étudiants pro-Eyadema chassent leurs adversaires pro-démocratie occidentale du campus. Là, comme déjà en octobre, le prétexte, en tout cas celui rapporté par l'information, est politique. Mais là aussi comme en octobre, l'« agitation » s'étend rapidement, dès le lendemain, aux lycées de la capitale, mais n'y reste pas enfermée. Les affrontements ont lieu dans les quartiers populaires de Lomé où l'information ne s'aventure pas. Dès le 15 mars, toutes les organisations de l'opposition se regroupent dans un Front des associations pour le renouveau, aussitôt déclaré illégal par le pouvoir : le couple récupération-répression a réagi vite, signe surtout de l'ampleur de la révolte. Et toujours le 15, 2 000 femmes manifestent devant l'ambassade de France, où elles sont violemment matraquées par les forces de l'ordre. Cette répression si visible, que même les journalistes occidentaux ont été contraints d'y assister, est un joli coup, parce qu'elle permet de détourner l'attention vers un vieil archaïsme émotionnel : on ne frappe pas des femmes tout de même ! Et c'est aussi une faute, parce qu'elle rallie à l'émeute, sous un prétexte qui justifie la colère, les gueux encore indécis de Lomé. Et le 16, au lieu de la manifestation interdite de l'opposition arriviste, c'est l'assaut du commissariat du plus grand quartier populaire de la ville, Bé. Il y a des barricades et des incendies. Un jeune est écrasé par une jeep, un flic est lynché par une foule à l'intérieur d'un poste de police. On ne s ait pas ce qui se passe le 17 mars. Mais le 18, le FAR annonce qu'Eyadema a cédé sur toute la ligne : amnistie, reconnaissance des partis, conférence nationale. Et dès le 20, l'opposition annule son mot d'ordre de grève. Seuls les camionneurs continuent, pour la libération de 30 d'entre eux restés emprisonnés depuis octobre, reconstituant ainsi le fil rouge avec la première tentative de décollage de ce petit pays, dont on a vu combien il est libéral à souhait.

Mais le goût pour les reculades précipitées du dictateur, et les gesticulations désordonnées de ses challengers concurrents, et pour la fièvre inquiète de l'information, qui ne sait si elle doit venir à Lomé, rester, partir, crier ou se taire, est pris. Et le 5 avril, c'est une nouvelle manifestation devant le siège du RPT, l'ex-parti unique, l'armée tire, 2 morts. Alors la colère gagne non seulement de l'intensité, mais du territoire : « Plus d'un millier de manifestants ont pris, lundi 8 avril, le contrôle d'un des principaux quartiers populaires de Lomé, Bé, dont ils ont interdit tous les accès, et réclament la démission immédiate du président Gnassingbé Eyadéma. » Et pour que l'émeute ressemble encore mieux à une insurrection, elle gagne maintenant la province, d'où l'on rapporte des manifestations à Kpalimé, Vogan et Kévé, où la sous-préfecture est incendiée, où des barricades sont érigées, et où les combats font 2 morts. Le lendemain 9 avril, un couvre-feu (de 22 heures à 7 heures) est proclamé sur tout le territoire, et il y a des violents affrontements, au moins à Kpalimé, en plus de Lomé bien sûr. Le 10 avril, alors que le gouvernement baisse le prix du pétrole, comme s'il s'agissait de cela, et accorde une nouvelle amnistie générale, les plus violents combats depuis le début du mouvement ont lieu à Bé. Dès le lendemain matin, le quartier repris va retirer de sa lagune 26 cadavres que l'armée y a jetés. C'est la même exclamation d'indignation, semi-vert ueuse, semi-vengeresse – puisque des manifestants réclament maintenant « des armes pour en finir avec Eyadéma » qu'après la manifestation des femmes, le mois précédent, mais elle est cette fois-ci impuissante, un constat de défaite. Le chef de l'opposition démocratique, l'avocat Koffigoh, hué par la foule, tire le plus lucide des constats sur la difficulté de la récupération : « D'un côté, nous avons obtenu satisfaction sur toutes nos revendications politiques. D'un autre, nous savons que cela n'a pas suffi à calmer la rue. » Ce même 11 avril, Eyadema tient le même discours, tout aussi véridique et désabusé, en nommant dans l'idiome de la répression les véritables ennemis communs de la dictature et de la démocratie occidentale : « bandes de hors-la-loi », « jeunes gens désœuvrés » qui se livrent « à la violence et au vandalisme ». Le 16 avril est décrété jour de deuil national à la mémoire des cadavres de la lagune de Bé, et le couvre-feu est levé.

Aussitôt que l'insurrection a été battue sur le terrain, et écrasée par la solennité du deuil, Eyadema n'a plus besoin de tenir ses promesses. Mais le parti récupérateur, à la fois par arrivisme et parce que sa propre survie, même physique, ne dépend que de sa fonction comme intermédiaire entre la dictature et l'émeute, a donc besoin d'exiger, à s'en égosiller, que le dictateur les tienne ; et de mi-avril à mi-juin, chacun sait que le courroux vertueux des émeutiers de Bé n'est qu'une trêve, ce genre de choses se sent, on est dans la montée du mouvement, pas dans la descente. Réorganisés en Front d'opposition démocratique, les récupérateurs tentent de focaliser le débat sur l'objectif de leur arrivisme politique, car cette trêve, comme la plupart des trêves de gueux, est es sentiellement leur impossibilité d'articuler le débat, en théorie, et en perspectives. D'ailleurs, ces vociférations conviennent fort bien à Eyadema qui sait également que pour l'instant cette opposition craint davantage la rue que lui, puisqu'il est dans la même crainte, et que l'ergotage pour les places honteuses et sur la forme de l'Etat est le meilleur coupe-feu de la révolte, un bourbier aussi boueux que la lagune de Bé. Le 2 juin, le FOD appelle donc à une grève générale pour obtenir la conférence nationale promise et retardée ad aeternam. Remobilisons les gueux avant qu'ils ne le fassent tout seuls : et la grève débute le 7. Le 10 juin, le FOD réunit 50 000 personnes dans un meeting. 

La démocratisation n'est un atout pour le parti récupérateur que parce qu'elle est le cheval de Troie qui introduit la marotte, le dada, la fixation de l'information occidentale dans la bagarre, et de son côté. Mais le parti de la répression a également un thème séduisant à proposer à l'information : l'ethnicisation. Les divisions ethniques sont en effet un appoint alléchant pour les informateurs. Car ils auraient bien du mal à allécher leurs spectateurs-clients avec des conflits africains structurés uniquement autour du manichéisme basique qui oppose les bons démocrates occidentaux aux autres, tous mauvais. Le spectateur occidental est trop ennuyé par ces prises de position idéologiques grossières et irréfutables, et il voit la démocratie parlementaire davantage comme une fatalité que comme une source d 'enthousiasme ou de libération. En sous-tendant de divisions ethniques ses propres divisions politiciennes, l'informateur occidental y ajoute du mystère, de la culture, de l'authenticité et de la complexité. Ya bon les divisions ethniques !

Au Togo, de plus, la division ethnique a une autre fonction coupe-révolte. Les deux ethnies principales, en effet, sont les Kabyé au nord, dont font partie Eyadema et 70 % des 12 000 hommes de l'armée, et les Ewe, au sud. En revalorisant ainsi des oppositions qui parlent mieux aux pauvres de Lomé que les abstraites démagogies politiciennes, d'un côté les soldats, de l'autre le peuple, d'un côté les gens du Nord, de l'autre ceux du Sud, on détourne efficacement ce que le mouvement a de plus dangereux, sa contagion le long du littoral. Car dans un rayon de trois cents kilomètres à partir de Lomé, une demi-journée en voiture, on trouve cinq villes au moins aussi importantes que Lomé, mais dans trois Etats autres que le Togo : d'ouest en est, il y a, au Ghana, Kumasi et Accra, la capitale ; au Bénin, Cotonou-Porto-Novo, la capitale ; au Nigeria, Lagos et Ibadan. Ethniciser la révolte, c'est donc la limiter au petit Togo au lieu de l'étendre à la grande Afrique, c'est en faire un conflit Nord-Sud au lieu d'en faire un conflit gueux-Etat, c'est transformer la dispute quartier populaire-quartier gestionnaire en dispute campagne-ville, c'est la ramener dans le passé plutôt que la projeter dans l'avenir. Et c'est ainsi que le meeting de l'opposition est attaqué par de jeunes Kabyé, armés de coupe-coupe, de flèches et de gourdins, pour la plus horrifiée délectation des journalistes occidentaux. 

Mais, sans s'arracher cette vilaine épine ethnique du pied, la gueuserie banlieusarde reprend dès le lendemain, 11 juin 1991 : plusieurs quartiers sont des scènes d'affrontements, des dizaines de barricades » surgissent, le soulèvement de Lomé s'étend à Sokodé, où il y a 2 morts. Et cette journée a tellement terrorisé l'alliance tacite répression-récupération que quelques heures plus tard, le 12 juin, Eyadema, fidèle à sa tactique de je-promets-et-je-verrai-bien, accepte une conférence nationale pour le 24, et l'opposition suspend aussitôt sa grève générale. La liesse qui s'ensuit est certainement le signe le plus alarmant pour le parti émeutier. Elle signifie qu'il commence à être ferré dans le bras de fer de façade entre les deux concurrents gestion naires de l'Etat. Prendre parti dans cette dispute de petits chefs propriétaires est le début, déjà avant le point culminant, de la lassitude de ceux qui n'ont rien et qui sont en bas de la hiérarchie. Malheureusement, ces traces d'épuisement ne sont généralement comprises comme telles qu'après le point culminant.

Autour de la conférence nationale ainsi sacralisée, c'est maintenant un ballet lent et lourd de manœuvres arrivistes, spectacle d'autant plus affligeant qu'il est sans partage. D'abord retardée, cette assemblée commence dans la cacophonie quelques jours avant son intronisation effective début juillet. Ce qui s'y est passé depuis fin juin (période à laquelle a lieu une première occupation de la radiotélévision par des militaires insatisfaits de leurs salaires) jusqu'à mi-août ne mérite pas l'évocation. Seul ceci importe un peu : le 23 août, la conférence qui s'est autoproclamée souveraine dans un vieux pastiche de la Constituante de 1789 décide de transférer les pouvoirs du président, qui est dégradé en potiche honorifique, au premier ministre ; et malgré une tentative de dissolutio n initiée par Eyadema, le 26 août la conférence choisit Koffigoh comme premier ministre ; ce que le même Eyadema entérine le 28, dans le discours de clôture de cette grosse farce, en implorant ses vrais ennemis d'opérer la transition « dans le calme » et « la paix sociale ». Du point de vue institutionnel, la conférence aura seulement remplacé un homme par un autre, et un intitulé de poste, président, par un autre, premier ministre. Que ce remplacement se soit opéré sans la moindre sanction de bulletin de vote, qui reste quand même le minimum (et c'est vraiment un minimum) de ce qui distingue la démocratie de l'arbitraire, est pudiquement minimisé par l'information occidentale, parce qu'elle préfère soutenir des démocrates autoproclamés que la démocratie elle-même, pour des raisons de mimétisme évident. Le parti issu de l'armée est évincé au profit du parti de la notabilité, et si quelqu'un a réellement voté pour ce parti, c'est l'information occidentale. 

Ce sont donc maintenant d'autres pauvres qui continuent le mouvement de désobéissance. Le 1er octobre, des soldats occupent de nouveau la télévision, de nouveau pour des revendications salariales. Et en se retirant, cette ancienne base du parti dominant manifeste le désaccord avec sa déchéance en s'affrontant, on ne sait trop avec qui, mais il y a 5 morts dans les rues de Lomé. Et si le comportement de la soldatesque commence à devenir gueux, le comportement des gueux se militarise comme le révèle la journée d'émeutes du 8 octobre, dont le prétexte est l'annonce de l'enlèvement de Koffigoh par des soldats, et où apparaît pour la première fois une force organisée gueuse : « (...) le gouvernement de transition [celui de Koffigoh donc] semblait débordé par ses partisans, qui appartiennent à une milice populaire dénommée Ekpémog. » On sait fort peu de choses de cette « milice » parce que l'information dominante craint de nuire à l'image de son poulain Koffigoh si les débordements de ces « partisans » s'écartent trop de la digne et tranquille notabilité de l'enthousiasme démocratique de la classe moyenne. Mais Ekpémog signifie « lanceurs de pierres », tout un programme, et la majorité de ses membres n'a sans doute pas atteint la majorité. Les 8 et 9 octobre feront encore 7 morts, et au moins dix résidences de dignitaires mises à sac. Les affrontements dans les quartiers populaires, et en particulier Adeswi, auront lieu contre les gendarmes, et non contre les mutins qui ont relâché Koffigoh, « presque tous des soldats d u rang » qui auraient obéi à « un mouvement d'humeur alimenté par des revendications corporatistes ».

Enfin, le dernier acte de la révolte au Togo commence un mois et demi plus tard, à la suite de la décision de Koffigoh de dissoudre l'ex-parti unique, le RPT. Désormais, on est le 26 novembre 1991, à la division de la société entre gueux et valets s'est définitivement superposé la division factice de deux partis valets, celui d'Eyadema et celui de Koffigoh, compliquée encore par la division Kabyé-Ewe, qui suit approximativement la même ligne de partage, et qui trouve une double expression armée, d'un côté la troupe régulière prokabyé, pro-Eyadema, malgré les mutins de sa base, de l'autre Ekpémog (beaucoup moins armé cependant), devenu proewe, pro-Koffigoh, malgré les débordements de sa base. La guerre civile est en place jusque dans les éditoriaux de l'information, qui s'en fait une raison a vec toute la tristesse de circonstance. Mais cette guerre n'aura pas lieu, principalement semble-t-il parce que la révolte n'est plus en expansion et que cette forme de la répression n'est plus nécessaire aux valets pour se maintenir. Dès le 26 novembre au soir, il y a des affrontements dans de nombreux quartiers périphériques où on recense déjà 6 morts. La radiotélévision est à nouveau occupée par des soldats, qui ont bien compris, merci Bucarest, que c'est là qu'on leur fait dire vérité ou mensonge, qu'on gagne ou perd des partisans, des causes, des Etats. Ils exigent la dissolution du Haut Conseil de la République, issu de la conférence nationale, non sans souligner que cet organisme est pour ainsi dire autonommé. Le 28, il y a une nouvelle occupation, et l'information appelle désormais les obscurs affrontements dans les banlieues, où elle ne s'aventure pas, affrontements Ewe-Kabyé, on voit à quoi elle joue. Koffigoh, assiégé à la primature, demande une intervention militaire de la France qui, hésitante, envoie cependant 300 hommes au Bénin voisin. Les mutins, que l'information ne désigne désormais plus que du calomniateur « putschistes », seront calmés par Eyadema le lendemain, ce qui aura pour conséquence d'affirmer qu'en fait Eyadema avait tout manigancé pour revenir au pouvoir. Un nouveau couvre-feu, de 18 heures à 5 heures, est décrété le 29 novembre. Les trois jours précédents ont fait de 25 à 30 morts. Ce seront les derniers jours d'émeute.

Il y aura encore un épilogue sanglant, mais bien moins que ce qu'on pouvait craindre tant nous sommes habitués à ce que notre société châtie les révoltes en proportion de la peur des conservateurs. C'est d'ailleurs l'absence de revanche qui restera la conséquence la plus étonnante au Togo. Mais terminons : le 2 décembre, la troupe assiège à nouveau la primature, et la prend d'assaut le 3, il y aura 17 morts et 60 blessés. Les frontières sont fermées ce jour, ce qui déclenche l'exode : 20 000 à 100 000 Togolais s'enfuient au Ghana, pendant que courageuse mais pas téméraire, la France envoie 30 soldats à Lomé. Maître Koffigoh, arrêté puis relâché, non sans quelques baffes bien méritées (J' ai le visage un peu tuméfié parce que, pendant l'attaque, les obus ont fait éclater des nids d'abeilles et j'ai été piqué »), capitule publiquement et le lendemain forme un gouvernement d'union nationale, c'est-à-dire des crapules de sa mouvance augmentés de quelques barons, non moins crapules, du RPT. Les frontières sont rouvertes le 5 décembre, ce qui stoppera l'exode sans amorcer le retour, et Koffigoh appelle à reprendre le travail, par où l'on découvre qu'il y avait une grève.

On n'entend plus parler d'Ekpémog, dont il faut bien supposer que le gros fait désormais l'école buissonnière au Ghana. Deux nouvelles occupations de la radiotélévision par des mutins, toujours impunis, auront lieu pendant décembre. Par la suite, les disputes continueront au Togo, mais désormais l'encadrement des deux partis ne se relâchera plus. Bien à l'abri en France, la brave canaille journaleuse, de gauche et libérale, exige que son point de vue, de classe moyenne bien-pensante, soit maintenant imposé par les armes, au moins dans les Etats qui comptent peu, et cela fera un beau précédent. 'Libération', le 4 décembre : « Ingérence ? L'inaction serait, au contraire, un crime de non-assistance à démocratisation en danger. » La démocratie libérale parlementaire, où les délégués ne sont pas révocables à tout moment, n'a plus besoin du fastidieux rituel de faire signer des chèques en blanc à la population. Elle est devenue une institution morale, qui est lasse de discuter, sauf avec les armes, puisque c'est elle qui les a.


 

(Texte de 1998.)


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