Notes


 

43. Zambie

Le 25 juin 1990, six jours après l'annonce du doublement du prix du maïs, considéré comme l'aliment de base, une manifestation d'« étudiants » se termine en affrontements avec la police à Lusaka. Du centre-ville, les combats et pillages gagnent les banlieues de Kalingalinga et Mtendere. La maison à Chilenje du dictateur Kaunda, en vacances à l'étranger, est saccagée. Tous les informateurs relèvent l'identité de ces événements avec les émeutes de décembre 1986, déjà après une augmentation du prix du maïs, déjà sur injonction du FMI, qui avaient fait 15 morts et eu pour conséquence la rupture, jusqu'en 1989, entre Zambie et FMI, et l'élaboration du plan mis en pratique maintenant.

Le 26 le pillage continue, et le soir il y a déjà officiellement 20 morts. Un couvre-feu est décrété sur la capitale de 18 heures à 6 heures. Kenneth Kaunda rentre précipitamment. L'information occidentale maintient deux raisons de la révolte, ainsi hiérarchisées : en premier, ce serait une émeute de la faim », terme employé abusivement pour signaler une révolte contre une hausse de prix des produits alimentaires usuels sans pourtant, notamment dans ce cas, qu'aucune sorte de famine n'ait été signalée ; mais le terme « émeute de la faim » évoque des gueux affamés, se révoltant pour la plus économiste des raisons, même quand il est vraisemblable, comme en Zambie, que ceux qui sont allés affronter l'Etat l'ont surtout fait, en admettant que ce soit à cause de cette hausse de prix, parce qu'elle leur a semblé insultante, indigne, une sorte de vol caractérisé, quand on sait que ces hausses de prix sont d'abord des enjeux de spéculation de la part de la distribution qui stocke et rationne parfois dans l'attente d'une telle hausse. La seconde raison donnée par l'information aux émeutes tient encore plus de la propagande de cette information : il semblerait qu'une demande de multipartisme – forte marotte de l'information occidentale – de la part des étudiants ait été très surévaluée dans cette présentation des faits. Et ce même 26, à Ndola, à Kitwe et à Chingola, villes peu réputées pour leurs étudiants démocrates, on signale des « incidents », dont la teneur n'est pas connue.

Le 27, alors que les quartiers périphériques de Lusaka sont toujours aux mains des insurgés, qui en bloquent les entrées par des barricades, l'émeute gagne Kabwe, où la police tire sur des jeunes qui allaient attaquer une minoterie. Dans la plupart des banlieues soulevées, les sièges des partis sont détruits. Au total, les trois jours d'émeute ont fait entre 26 et 45 morts. Les deux journées suivantes, 28 et 29 juin, ont été occultées dans l'information occidentale, si bien qu'on ignore comment ces quartiers périphériques, où se situent les grands bidonvilles, sont rentrés dans le rang.

Le 30 juin au matin, un officier de l'armée annonce à plusieurs reprises la chute de Kaunda à la radio nationale. Cet homme sera qualifié d'ivre alors qu'il a exactement pratiqué la même technique que l'information occidentale lorsqu'elle donne pour raison des émeutes le multipartisme : une fausse annonce lancée pour influer sur les faits de sorte à ce qu'elle devienne vraie. De fait, des dizaines de milliers de pauvres sortent dans les rues dans une liesse apparemment sans dommage pour la marchandise. L'armée menace de tirer si les gens ne rentrent pas, mais ne tire pas et les gens ne rentrent pas. Les démentis de la chute du dictateur ne seront entendus que lorsque la fatigue aura raison de la fête. Et le même jour, le premier ministre est obligé de faire une autre annonce à la radio : il s'agit d'un stock de viande de bœuf tchécoslovaque, pillé pendant les émeutes, qui s'avère avoir été contaminé par l'accident de Tchernobyl cinq ans plus tôt ; et merci de le ramener intact.

Il faudra attendre un mois pour voir le couvre-feu levé tant la trouille de Kaunda aura été intense. Ce dictateur, fossile des héros de l'indépendance, brutaux et cupides, ne se remettra plus de cette première grande fissure dans sa statue.


 

(Texte de 1998.)


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