Notes


 

25. Sind

Des quatre provinces du Pakistan, le Sind est la deuxième en importance avec le port de Karachi, première ville du pays.

Comme en physique quantique il est impossible de comprendre l'observation sans observer en même temps l'observatoire, l'insurrection du Sind, davantage encore que celles de parties du monde mieux connues du monde, n'est compréhensible qu'en parlant, à chacune de ses étapes, du filtre, l'information occidentale, qui communique cette insurrection. Non seulement elle est insuffisante en quantité, mais elle semble avoir été comme moulée par les intérêts des récupérateurs sur le terrain, qui ont tenté d'en jouer pour canaliser les objectifs des insurgés, non sans succès.

A partir du 14 mai 1990, des affrontements ont lieu à Hyderabad, seconde ville du Sind. Ces meurtrières fusillades sont imputées à l'inimitié des deux principales ethnies de la province, les Mohajirs, qui sont les musulmans immigrés d'Inde à la naissance du Pakistan, en 1947, et qui parlent l'ourdou, et les Sindhis de souche, qui parlent le sindhi. L'information occidentale occulte ce qui a déclenché ces véritables batailles rangées » le 14 mai et depuis. Elle se contente de rappeler combien ces affrontements sont le triste lot de toujours le long de la cohabitation tumultueuse de ces deux groupes, les Sindhis (plutôt paysans) étant menacés par cette immigration inexpulsable (plutôt urbaine), à démographie plus galopante que la leur. Ainsi, le public occidental, et par conséquent celui du monde entier, ren once à projeter ses intérêts dans une boucherie aussi étrangère.

Seul raffinement supplémentaire des laconiques entrefilets : la division ethnique se superpose d'une division politique. Aux Mohajirs est souvent apposé le parti qui se réclame des Mohajirs, le MQM, alors qu'aux Sindhis de souche on fait l'injure identique de les ramasser dans le PPP, parti du premier ministre, Benazir Bhutto. Cette extension politique est nécessaire parce que, dès le début des émeutes, l'opposition parlementaire pakistanaise exige l'instauration de la loi martiale, ce qui veut dire que l'armée devrait faire régner l'ordre. Or, Benazir Bhutto s'y refuse parce que c'est actuellement son parti, le PPP, qui gouverne le Sind et y dirige la police. L'interposition de l'armée serait un désaveu par ce premier ministre de sa base régionale la plus forte et la plus sûre. Ce dilemme entre la nécessité de son impartialité, en tant que premier min istre, et la nécessité de sa partialité, en tant que descendante d'un clan de grands propriétaire terriens du Sind dont les autres sont la clientèle, va être le terrain politique sur lequel les récupérateurs vont déplacer l'éclairage des émeutes ; et par là même considérablement soulager mais aussi embarrasser l'information occidentale, parce que celle-ci soutient Benazir Bhutto par principe, pour l'excellente raison qu'elle est une femme qui dirige un pays musulman ce qui suffit à faire de cette corrompue, fille de corrompu, autoritaire et bornée, un exemple de démocratie, par amalgame de féminisme et d'athéisme hâtifs. C'est à si peu, en effet, que le concept de démocratie est prostitué dans et par l'information occidentale.

Après huit jours de combats à Hyderabad, et environ 50 morts, la première émeute a lieu à Karachi, le 22 mai, et il est toujours aussi impossible d'attribuer des causes concrètes à cette continuité et à cette évolution. Mais la lumière du grand port cosmopolite force les informateurs à doubler la longueur de leurs entrefilets. Au sanglant début de semaine (qui dans l'information occidentale devient week-end, c'est-à-dire information groupée) du 26 et 27 mai, avec plus de 100 morts, on s'aperçoit que la plupart des affrontements ont la police pour protagoniste. Il est vrai que puisque la police est dirigée par le PPP, elle est recrutée parmi les Sindhis de souche. Cependant, à l'occasion de ces deux journées qui au moins par le nombre de victimes déclarées semblent le crescendo de l'insurrec tion, on découvre que les manifestants attaquent partout les postes de police, et que particulièrement les femmes ont manifesté contre un couvre-feu total (interdiction de sortir toute la journée et toute la nuit, donc impossibilité de se ravitailler) à Hyderabad depuis quatre semaines, c'est-à-dire deux semaines avant les premiers affrontements connus.

Le lendemain 28 mai, l'armée se déploie à la place de la police, et à Hyderabad les affrontements cessent aussitôt ; mais pas à Karachi, où les assauts contre la police, toujours, sont à moitié dissimulés par des attentats commis par des commandos masqués », les deux types de violence étant également meurtriers. Finalement, à près de 300 morts, début juin, alors que 30 000 soldats sont entre-temps déployés dans les deux villes, le mouvement cesse, sans qu'on sache si le couvre-feu est levé et ce qui a motivé des furieux qui se sont armés dans les postes de police pris d'assaut à rentrer chez eux. Mais l'annulation d'un voyage de Bhutto à l'étranger le 31 mai, et son accusation envers l'Inde d'avoir fomenté les troubles souligne à la fois la gravité de l'insurrection et la fragilité des arguments de ce premier ministre. Et il n'y aura pas moins de 5 000 arrestations !
 

(Texte de 1998.)


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