Notes


 

21. Cachemire

Le Cachemire est un Etat scindé entre le Pakistan et l'Inde, qui en occupe les deux tiers. Cette scission qui date de la partition de l'ancien empire des Indes en 1947 cause une seconde guerre entre les deux Etats en 1965, puis est un théâtre de la guerre du Bangladesh en 1971.

L'insurrection de 1990 commence par une émeute aux causes non identifiées, le 8 janvier, mais dont la conséquence est le couvre-feu le lendemain. Lorsque, dix jours plus tard, New Delhi impose l'administration directe après la démission du premier ministre de l'Etat du Cachemire, Farook Abdullah, c'est une longue succession de journées insurrectionnelles, réprimées avec toute l'intensité de la peur de l'armée d'occupation indienne. Guerre des pierres, attaques de bâtiments publics, pillages de dépôts de nourriture, affrontements à répétition, iniquités sanglantes des forces de l'ordre, c'est certainement le soulèvement qui ressemble le plus à l'Intifada, c'est-à-dire qui paraît le plus à même d'en indiquer le dépassement. A la fin du mois de janvier, alors que le bilan des victimes oscille entre 60&n bsp;et 100 (mais personne ne regarde de trop près), les deux Etats, Pakistan et Inde, le premier poussé par des manifestations de soutien (les insurgés du Cachemire sont musulmans comme les Pakistanais) dans ses propres grandes villes, le second par les difficultés de sa police, commencent un spectacle de bruit des bottes, de rots martiaux, ce qui serait une tentative de détournement d'attention somme toute assez courante si depuis leur dernière guerre les deux Etats ne s'étaient pas dotés de la bombe atomique.

Au début février, alors que les affrontements quotidiens continuent de tuer au Cachemire, à la frontière avec le Pakistan l'armée indienne tire sur une foule de 4 000 Pakistanais qui tentent d'entrer au Cachemire, et ce genre de spectacle (on manifeste aussi contre l'ambassade du Pakistan à New Delhi) contribue, à côté de la menace de guerre atomique, à déporter l'énergie de la révolte loin des rues de Srinagar. Pourtant, l'usure des manœuvres des récupérateurs ne se fait pas sentir si tôt : après un mois de février qui a vu au moins dix jours d'émeute, dans toutes les principales villes de la province, la foule se dirige, le 1er mars, vers les bureaux de l'ONU à Srinagar, lorsque l'armée une fois de plus conspuée, agressée (on essaie de lui prendre les armes, a-t-elle jus tifié sa précédente fusillade) tire : 34 morts. « La révolte, initialement limitée à des groupes de jeunes, gagne des couches de plus en plus larges de la population locale. » Vingt-deux villes sont mises sous couvre-feu, ce qui n'empêche pas des manifestations de protestation, dès le lendemain, dans la plupart d'entre elles. Un exode commence. Le couvre-feu légèrement desserré à cause du début du ramadan, les 28 et 29 mars sont à nouveau des journées d'émeute et de colère. Au total, depuis début janvier, on dénombre entre 140 et 200 morts.

A partir de fin mars, la révolte populaire, spontanée, n'est plus lisible dans cet Etat du Cauchemar. Avec deux Etats belliqueux qui le convoitent et dont les gouvernements ont peut-être intérêt à transformer l'insurrection en guerre militaire, avec deux types de guérillas, une qui milite pour l'union avec le Pakistan, l'autre pour l'indépendance, qui sont en train de se prendre des parts de marché de cette foule qui menace maintenant de débattre du monde, avec une information occidentale qui ne veut pas comprendre cette lointaine dispute où l'aventure ne la tente que modérément et où elle alterne par conséquent la sous-information la plus flagrante avec le spectacle le plus strident, les récupérateurs qui étaient trop nombreux et divisés pour endiguer rapidement le mouvement l'ont maintenant rattrapé sans qu'il ait eu l'oc casion de déployer la grandeur de ses ailes.

Le 20 mai sera le dernier jour, mais isolé, de l'insurrection indépendante face à l'insurrection indépendantiste. Ce matin-là, le principal prêcheur musulman de Srinagar, le Mirwaiz Maulvi Mohammed Farooq, reconnu modéré, est assassiné. Le couvre-feu est violé par des milliers de manifestants : il y a entre 58 et 80 morts. Deux jours plus tard, ils sont 300 000 à étouffer toute colère lors des obsèques sous leur trop grand nombre. Maintenant les liquidateurs du mouvement sont mieux en place qu'en janvier : bruit de bottes concerté à la frontière ; petits coups de guérillas qui se sont étoffées ; informateurs scandalisés à distance, puis occupés à détailler les oppositions constituées ; et nomination dans le calme du fils du martyr, Umar, a u même titre de Mirwaiz Maulvi, islamisant plus sereinement le paysage, le 1er juin, devant 100 000 personnes, sans incident : tous les horizons de l'insurrection gueuse initiale sont maintenant occupés par des partis du vieux monde.

Dans les années qui ont suivi, si les nombreuses polices, indiennes, cachemires, pakistanaises, journalistiques ont mené une lutte sanglante, les populations se sont souvent montrées juste derrière, un rien les faisant passer devant, pour un bref instant fort effrayant, par exemple en octobre 1993 lorsqu'il s'est agi de soutenir des guérilleros qui étaient assiégés dans la mosquée de Hazratabal. Et c'est probablement à cause de cette présence non entièrement calmée, non entièrement domestiquée, malgré les pénuries, les tortures, les représailles de tous les camps armés, les occultations et les spectacles, qu'une guerre raciste chicanière, à l'israélienne, y doit durer si longtemps.
 

(Texte de 1998.)


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