Comment contrer la révolte moderne


 

D – Purifier nos moeurs en Bosnie

Vous ne savez pas ce qui se passe en Bosnie-Herzégovine.

Pourtant, vous en entendez parler tous les jours.

Vous ne pouvez rien faire. Donc, vous ne savez pas, vous ne comprenez pas.

L'atrocité vous touche. Alors, voici de l'atrocité, telle qu'elle vous touche : 

Il y a 300 000 morts.

La plupart d'entre eux ont été massacrés. Des groupes spéciaux de massacreurs attaquent les villages à majorité ethnique différente et massacrent ceux qui ne sont pas de la leur. Des commandos de violeurs violent systématiquement. On appelle ça le viol intelligent, par analogie avec l'arme intelligente. Car il s'agit dans ce viol intelligent de procréer des enfants de même ethnie que soi, en humiliant des femmes de l'autre ethnie. On attend 30 000 naissances pour les trois premiers mois de 1993. Des enfants sont empalés. D'autres ont été jetés dans des hauts-fourneaux. Des prisonniers de guerre sont égorgés, à l'arme blanche, comme vos cochons. Des bouches inutiles sont massacrées. Vous avez vu des camps de concentration.

Une milice tire sur sa propre foule pour faire croire à l'information occidentale, donc à vous, que l'autre milice tire sur des civils innocents. Une autre milice simule une fusillade à l'heure précise où commencent vos informations télévisées.

Vous savez tout cela, et vous tolérez tout cela.

Nous ne sommes pas contre ces crimes, contre cette atrocité. Nous sommes contre leur sens et leur but. Ces atrocités sont commises accessoirement contre des Bosniaques, et principalement contre nous, contre vous. Nous ne sommes pas contre le vol, le viol, le meurtre. Nous sommes contre le fait que ces crimes ne sont pas commis pour soi, en responsable, par plaisir, mais sur ordre, et pour raison militaire, ethnique, d'Etat.
 

Vous avez oublié depuis quand ces atrocités ont commencé ?

Le 6 avril 1992, une émeute contre la partition ethnique de la Bosnie est réprimée à Sarajevo. La partition commence le jour même, parce que ce jour-là est celui où la CEE et les Etats-Unis (vous et nous) reconnaissent l'indépendance de la Bosnie. Tout le monde sait que les trois groupes de population enchevêtrés vont devoir dessiner des territoires. Dessiner ! on appelle ça « purification ethnique ». La CEE et les Etats-Unis, le journal que vous lisez, vous et nous, le savons, ce 6 avril : la guerre ethnique est inévitable.

De quoi discute-t-on ici ? Non pas de la guerre ethnique ; non plus du sort des 30 000 manifestants contre la partition ethnique à l'origine de l'émeute du 6 avril, on n'a qu'à les répartir parmi les atrocités citées plus haut, non ; on discute de vous, de nous. Cette guerre, c'est la vôtre, la nôtre. Elle vous exempte d'en avoir une, ici, où vous lisez tranquillement. Elle vous exempte d'avoir à sortir du cocon de plastique et de télévision qui vous enrobe hors de toute responsabilité. Elle vous permet de rire et d'aller au restaurant, de danser et de discuter du dernier disque un peu sulfureux de Madonna. Elle n'a pas d'autre objectif que celui que les chrétiens prêtent au Christ : les décharger un peu de leur propre vie.

Si, elle a encore d'autres buts que construire une petite forteresse à l'abri de l'histoire. Elle teste déjà si vous vous tairez. Et ?... Vous vous taisez ! Ça marche ! Ça ne saurait donc s'arrêter à la Bosnie. Dans cette Yougoslavie où l'on cultive la guerre, comme jadis son champ, quand un terrain est épuisé, on tourne, on y reviendra, après la Croatie, il y a la Bosnie, après la Bosnie, le Kosovo, avec une guerre contre l'Etat albanais qui sait que ce sera l'aide occidentale la plus efficace pour surmonter ses insurmontables problèmes de police. Après ? Voyons, que diriez-vous de la Macédoine, ou de la Serbie, ou de la Vojvodine, ou alors on revient en Croatie. Et si on débordait un peu sur la Hongrie, avec la Transylvanie et la Slovaquie, c'est pas mal, non ? Ah, pardon, j'oubliais, vous ne dites rien.

Oh, j'entends bien vos murmures d'esclaves s'élever contre les atrocités, parce que vous les redoutez, vous les redoutez tant que vous zappez d'importance dès qu'on vous parle Bosnie. Mais vous avez oublié pourquoi on se massacre en Bosnie. C'est pour une question de race. Vous êtes vertueux, vous êtes contre les massacres. Manque de chance, vous êtes pour l'égalité des races. Alors on ne peut rien faire, n'est-ce pas, puisque les Bosniaques se battent pour l'égalité de leurs races qui n'en sont même pas. Et vous n'avez même pas osé remarquer que c'est pour que vous l'oubliiez qu'on vous en parle tous les jours, que c'est pour que vous n'entendiez rien qu'on vous dit tout.

Vos gouvernements sont complices. Peut-être le subodoriez-vous, probablement même. Ils s'en foutent, parce que vous êtes complices d'eux. C'est pour vous qu'ils entretiennent ce massacre, pour vous seuls. Vous pouvez les remercier. D'ailleurs, plus cette guerre avance, elle n'a pas encore un an et déjà de plus radieuses perspectives d'immortalité que vous, moins vous pourrez faire autre chose. Parce que bientôt vous n'en aurez même plus le droit.

Un dernier mot encore à votre vertu, qui est contre le vol, le viol, le meurtre. Ce que Hitler a fait en Allemagne, les Bosniaques, vos contemporains, le dépassent tranquillement en absence de vertu : Hitler exterminait les juifs, les Rom, les homosexuels, qui tous avaient du mal à se défendre comme on se souvient. Mais en Bosnie, c'est réciproque, entre Serbes, Croates et « Musulmans ». C'est comme si non seulement Hitler exterminait les juifs, les Rom, les homosexuels, mais comme si en même temps, les juifs exterminaient les Aryens, les Rom, les homosexuels, et les Rom exterminaient les Aryens, les juifs et les homosexuels, et les homosexuels exterminaient les Aryens, les juifs, les Rom. Ça, bien sûr, vous le saviez aussi. Vous vous en étiez justement fait la réflexion.


 

(Extrait du bulletin n° 6 de la Bibliothèque des Emeutes, texte de 1993.)


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