Comment contrer la révolte moderne


 

B – Diffamer la grève des camionneurs en France

1) Du contexte au prétexte

C'est insensiblement que la vieille Europe a perdu à la fois sa douce sérénité et sa pétillante capacité critique. Depuis 1968, le ciment des mœurs s'est craquelé, l'aliénation a creusé de profondes séparations et de nouvelles frontières, non pas entre les Etats, mais entre les individus. Certains datent les effets de ce grave délabrement, que d'autres refusent absolument de reconnaître, de la chute du Mur, mais ils ont tort. C'est bien plutôt cette « chute du Mur » qui est due à ce grave délabrement. Et pendant un moment encore, les effroyables conséquences de la gestion stalinienne, qu'aujourd'hui l'information dominante hésite à mettre en avant ou à dissimuler comme trop compromettante, détourneront l'attention de ce que les mêmes symptômes, sous d'autres formes, ont depuis longtemps corrompu l'Occident.

C'est d'abord la classe ouvrière en entier dont la dissolution continue. Le « Winter of discontent », en 1978, et la défaite de la révolte en Pologne, en 1981, ont été les dernières grandes batailles, perdues, de l'organisation spécifique des pauvres en classes économiques. Dès l'été 1981, au Royaume-Uni, étaient apparus d'autres pauvres, progéniture des ouvriers vaincus, qui se battaient sans armes ni chefs, différemment donc, loin des lieux d'un travail autour duquel ils ne sont pas organisés, dans les banlieues où ils survivent. Les lieux d'affrontement, les méthodes d'affrontement, les moments où l'on se bat, l'idéologie des pauvres, et les pauvres eux-mêmes, changent. Dix ans plus tard, les lourds bataillons cerclés de syndicats, de services d'ordre, de mots d'ordre, de drapeaux et de confettis, de sentencieux meetings et d'indignation respectable ont disparu au vent de la déception, de la défaite, de l'aliénation ; et battus, leurs petits chefs, de part et d'autre du Mur, sont soudain sans emploi ni lèche-pompes, sauve qui peut.

En France, la même fissure est devenue une brèche depuis 1990. Pendant dix ans, cet Etat qui chatouille la nostalgie des révolutionnaires romantiques avait su cloîtrer dans des culs-de-sac idéologiques, parfois à coups de bombes policières, comme en 1986, parfois à coups de spectacles ponctuels, comme dans les presque annuelles caricatures estudiantines de Mai 1968, toutes les velléités qui s'usaient d'avoir justement échoué cette année-là. Le prolétariat avait disparu de derrière les politiciens, notables, intellectuels, militants, qui marchent maintenant en tête de cortèges sans corps. Les corporations les plus collaboratrices descendent seules désormais manifester, car parmi tous ceux qui ne sont pas enseignants, médecins, notaires, matons, flics, l'espoir d'alléger leur abrutissement a pour ainsi dire disparu. Des banlieues sont devenues des no-go areas, en partie parce que la haine y fait peur, en partie parce que personne n'a envie de séjourner dans cette désolation lépreuse. Aussi, en 1990, l'émeute moderne est apparue en France, y devenant un phénomène quasi permanent, quoique touchant peu de personnes. D'abord, on l'applaudit fort, parce que l'information dominante ne comprit pas tout de suite que c'était l'ennemi. En même temps, les paysans sortirent de leurs campagnes incendier préfectures et commissariats. Là encore, l'information était interloquée : fallait-il discréditer les bouseux, ou sourire avec indulgence de ce que la mauvaise humeur soit accaparée par des agriculteurs ?

Ces deux hordes, pour leur donner le nom de l'organisation sociale passée qui leur ressemble le plus, manifestent le profond changement qu'ont connu, derrière les spots, les marges géographiques de cette société. Les banlieues ne sont plus des dortoirs d'ouvriers et d'employés qui vendent leur existence à la ville ; ils sont les terrains de jeu cabossés de bandes d'adolescents qui y sont nés pour y mourir, sans en sortir, même le dimanche. Les campagnes sont devenues des dépotoirs à engrais, sans mystères ni secrets, lacérées par tous types de transports, surexploitées, abîmées de tourisme ; les jeunes paysans, vêtus comme des banlieusards, courent les mêmes marchandises dans les mêmes supermarchés. Ces petits patrons pensent comme des employés : la terre, qu'ils sont censés aimer, est leur misère. Elle pue le travail depuis que les pesticides la labourent. Le bétail n'y est plus la nature, la nature a troqué sa couleur avec la télévision, qui lui a laissé le gris de son noir et blanc. La haine, dans les campagnes, n'est plus l'ancestrale rivalité villageoise, mais la haine de l'économie, de l'Etat, du monde.

Depuis l'automne 1990, la même colère, à courte vue mais permanente, fait suivre aux paysans et aux banlieusards de France des lignes parallèles, qui se rencontreront bien avant l'infini. C'est d'abord le même plaisir, plus ou moins avoué, d'attaquer les lopesa du commissariat de quartier ou ces salopes de gendarmes, de se griller une petite supérette après le café ou d'enfoncer les grilles de la préfecture après le calva, de voir blêmir les satisfaits quand on sort de sa cité, de sa campagne haïes ; c'est ensuite la même volonté de ne pas vouloir être pris pour ce qu'on n'est plus, notamment des imbéciles parqués et consentants. En banlieue comme en campagne, les gueux se sont éloignés du modèle de classe, du mode de communication et même des conditions de survie dans lesquelles on est censé s'employer ad aeternam. Ce glissement dissimulé de l'organisation de la société se manifeste d'abord dans le courroux. Enfin, et surtout, une même lucidité intermittente, très très lucide en même temps que très très intermittente, habite aujourd'hui indifféremment d'un côté de la barricade le ministre et le cadre, de l'autre le voyou de banlieue et le viticulteur : et si les logiques de nos ennemis aussi bien que les nôtres en sont truffées d'incohérences et de bizarreries, tout respect s'est perdu dans la hiérarchie sociale, comme tout idiot du village a depuis longtemps déserté le village. Il est à la ville, déguisé en homme intelligent, suivant là l'inverse du précepte qui accompagne utilement les mauvais jours : faire l'imbécile en évitant d'être repéré. Comme celles des classes sociales, les frontières du savoir sont dissoutes à l'acide télévisé, révélant que ce monde n'est pas celui qu'on pensait ; et du ministre au viticulteur, du cadre au voyou, il est courant de critiquer indifféremment un gouvernement et ses concurrents, 68 et 86, le monde et 'le Monde'.

A l'automne 1991, par conséquent, phénomène sans précédent, les ministres ne peuvent plus se rendre en province. Les paysans les empêchent systématiquement d'y discourir, d'y atterrir, d'en rire. Une impressionnante série de semi-émeutes [cf. 61] – semi parce que l'Etat en étouffe l'information, et l'information y est directement censurée par des intéressés très très intermittents très très lucides – est devenue la règle dans toutes les banlieues françaises, notamment autour de Paris : le quartier Villeneuve à Grenoble, Trappes, Sartrouville, Nîmes, Colombes, Asnières, Argenteuil, Epinay-sur-Seine, Noisy-le-Sec, se sont distingués pour la seule première moitié de 1992.

Les paysans manifestent contre la Politique agricole commune (PAC), sorte de retaillage de leur profession par les gestionnaires de la CEE. Jouissant à juste titre d'une impunité légale dont les banlieusards ne peuvent que rêver, c'est une succession de petites escarmouches, ponctuées de fumier déversé, de voies ferrées ou autoroutes coupées et de quelques bagarres avec les défenseurs de l'Etat (à Versailles, les 22 mai et 10 juin, à Vienne le 15). Devant efficacement les isoler en corporation, c'est, comme dans la plupart des professions, une coordination autonome qui se substitue aux syndicats, qui, il est vrai, avaient PACtisé avec l'Etat. Cette coordination plaît beaucoup à l'information, et organise un blocus de Paris le 23 juin, qui plaît beaucoup à l'information. Trop loin de la capitale, ce qui plaît beaucoup à l'information, les principales routes d'accès sont bloquées, et le mot d'ordre de non-violence ne subit que quelques altérations, qui plaisent peu à l'information, qui les a donc généreusement minimisées ; cette information, qui commence à nous plaire, a ainsi confisqué toute forme de critique qui n'était pas confinée trop loin de la capitale. Du coup, une violente manifestation d'ouvriers de Renault, à Limoges, passe presque inaperçue.

Alors que les syndiculs de la FNSEA décrètent à leur tour une journée nationale des paysans le 30 juin – après le lessivage du 23 juin, il ne faut pas négliger de bien essorer le mouvement –, le permis à points, dont le gouvernement avait décidé en catimini le principe en juin 1989, doit entrer en vigueur, ce 1er juillet.

2) Du 29 juin au 5 juillet

Le 29 juin, les premiers barrages de camionneurs se forment, dans le Nord, à Lyon, à Bordeaux. C'est une surprise. Car la loi incriminée n'a pas été discutée depuis deux ans ; et les premières manifestations n'accompagnent pas sa mise en vigueur, mais la précèdent de deux jours, devançant d'autant les presque rituelles protestations annoncées par les organisations professionnelles. La CB et le restaurant routier sont les forums qui ont décidé les quelques dizaines de barrages de ce premier jour. Aussitôt, le syndicat FO appelle à les lever, et le ministre de l'Intérieur Quilès ordonne de relever l'identité des camionneurs qui bloquent la route pour leur retirer le permis, et le camion. Ce même premier jour, à Lyon au moins, les chauffeurs de taxi participent au mouvement.

Début remarquable aussi de l'information dominante : audiovisuelle ou écrite, elle a d'abord traité de haut et de loin ce qu'elle ne considérait que comme une grève passagère et stupide. Ce peu de place accordé au premier jour, d'ailleurs, ressort en proportion du tapage assourdissant qui en a été fait par la suite. Dès le départ, cette information prend parti contre le mouvement, mais avec un dédain et une franchise qui traduisent à quel point elle l'a sous-estimé. Dans son éditorial du 1er juillet, intitulé « Vive le rail », le pollueur de service chez 'Libération', Jean-Michel Helvig, pète tranquillement : « Que certains matamores du bitume se croient autorisés à revendiquer une sorte de privilège de conduite en paralysant la voie publique, ce n'est pas seulement discutable, c'est indigne. » Il faudrait citer en entier l'article intitulé « Otages » paru chez le concurrent en pollution, 'le Monde' du 2 juillet, et qui commence par « La loi instituant le permis à points a été dictée par le simple bon sens ». 

Le 30 juin, la multiplication des barrages attire le spectacle par les radios : leurs auditeurs étant de plus en plus les téléspectateurs qui sont sur les routes, les problèmes de circulation sont une de leurs priorités. Un contraste inattendu apparaît aussitôt entre l'ampleur et l'ubiquité du mouvement, et le silence complet de tous ceux qui pourraient le représenter. L'absence de hiérarchie va être immédiatement la force du mouvement, parce qu'elle n'offre pas d'interlocuteurs, et donc pas de compromis. Le gouvernement est obligé de déléguer des préfets, voire de simples officiers de gendarmerie, sur les principaux barrages pour discuter avec des délégués improvisés et éphémères. De lieu en lieu, les exigences ont varié jusqu'à la contradiction, et un accord sur un barrage ne signifiait jamais l'accord sur le barrage voisin, et était même souvent remis en cause par ceux du barrage qui n'avaient pas négocié, et donc, annulé.

L'autre raison qui a probablement incité le spectacle à s'emparer de cette affaire si mal engagée, c'est qu'elle a servi à dissimuler la grande journée d'action des syndicats paysans. Lourdement encadrée, cette manifestation a mobilisé dix fois plus de paysans que le 23 juin, et dix fois moins d'articles de presse. La corporation des journalistes instaure la compétition à la rubrique entre des corporations dont la colère est la même, afin de les diviser. Qu'on se le dise quand on rencontre un journaliste ! Ce sont donc 100 000 paysans mobilisés dans quatre-vingt-cinq départements (sur quatre-vingt-quinze) qui ont été séparés et relégués dans des pages situées de l'autre côté des campagnes publicitaires qui agrémentent si avantageusement nos journaux ; neuf mille tracteurs ont bloqué eux aussi des routes ; des affrontements entre paysans et police ont eu lieu au moins à Digne et à Pau ; et dans le Gard, 16 dirigeants syndicaux très peu dignes ont eu moins de pot : ils se sont fait « molester » par leur base furieuse, qui les accusait de « mollesse ».

Le 1er juillet, au départ des vacances, la France est bloquée. Le permis à points entre en application. Cette mesure mérite une petite digression parce que l'unanimité de la propagande en sa faveur a été telle qu'elle a permis de diviser le mouvement, ce qui a été sa première faiblesse. L'information a martelé sans contredit cette idée : le permis à points sauve des vies humaines. Soyons clairs : le permis à points n'est qu'une forme de poliçage et de répression supplémentaire à celles qui existent déjà. Elle ne stipule rien de neuf, sauf qu'en retirant jusqu'à six points pour des infractions qui existent déjà l'administration retire automatiquement un permis de conduire (on peut d'ailleurs, et ce n'est pas la moindre infamie, racheter des points, en s'humiliant dans le paiement et dans l'acte de présence à des pseudo-cours, appelés « stages », et où il n'y a rien à apprendre). Si l'on veut, par un accroissement de menace et de peur, éviter les débordements du code de la route, on pourrait aussi bien punir de trois mois d'emprisonnement ferme tout empiétement de ce code. Mais la vérité du problème n'est pas là. Au nom de la sécurité, l'Etat veut transformer l'activité de conduire en simple activité fonctionnelle, en obligation. Le plaisir de la vitesse, de l'adresse contenue dans la conduite, du danger, est totalement refusé. Indépendamment du fait que le nombre des victimes sur les routes est probablement toujours gonflé (pour, par exemple, faire disparaître des morts gênants, voilà une fosse commune bien pratique pour l'Etat, qui en est seul comptable), le fait de mourir et de tuer sur la route est tabou en tant que liberté de mourir et de tuer, car la liberté de mourir et de tuer n'existe pas dans notre société. C'est d'ailleurs le tabou qui permet aux « sécuritaires » de traiter d'inconscients et d'irresponsables ceux qui nient leurs propres conscience et responsabilité lorsqu'ils sont pris en flagrant délit. C'est le même plaisir de jouer la vie qui confère à la voiture – qui en est le seul outil là où les armes sont interdites aux citoyens – cette place comparable à l'épée du gentilhomme, qui pousse des conducteurs automobiles à s'entre-tuer pour un accrochage de carrosserie. Eh oui, Richelieu, le duel est réapparu en France, mais dans la plèbe, et pour les mêmes causes : les prééminences, les priorités ne sont pas fixées dans ce jeu. L'honneur se dispute à chaque carrefour, à chaque dépassement. Nul besoin d'aller au cinéma regarder 'la Fureur de vivre' pour comprendre celle qui anime tous les affrontements en ferraille, qui font ces milliers de morts par an que la raison d'Etat combat comme un triste puritain combat un joyeux excès. Ces morts sont inutiles, mais uniquement pour l'Etat. Il veut éliminer la griserie, de la vitesse ou de l'alcool même combat, quand on conduit, il veut interdire que la conduite soit autre chose qu'un moyen, qu'un ennui, qu'une corvée supplémentaire. C'est pourquoi la population est restée insensible à la démagogie du journaliste Brider, soucieux de mettre l'opinion publique du côté de sa sale petite corporation, comme l'exige sa sale petite carrière à 'Libération' : « Ces récalcitrants n'auront jamais l'opinion publique avec eux pour s'opposer à une mesure dont le premier objectif vise à améliorer le bilan de la sécurité routière toujours proche de 10 000 tués et 200 000 blessés par an », selon la police. Si ladite opinion publique n'a pas réussi à critiquer cette pudibonderie de l'arriviste, elle a néanmoins sympathisé massivement avec les bloqueurs de route, en qui elle a vu les délégués de son propre désaccord avec la nouvelle répression (un sondage de l'Ifop publié dans 'le Parisien' du 3 juillet le reflète sous forme de paradoxe : 60 % des interviewés y sont pour les routiers, et 49 %, moins de la moitié du total donc, pour le permis à points). C'est que les routiers sont ceux qui à l'irrationnel plaisir de foncer et de se faufiler ont le plus de raisons rationnelles. L'information n'a eu aucun mal à montrer que ces raisons rationnelles ne tiennent pas la route. Ceux qui ne voulaient pas de permis à points du tout, probablement la majorité au début, ont été privés de parole, et les autres se sont trouvés divisés selon le type d'aménagement qu'ils préconisaient : les uns réclamaient un permis à douze points au lieu de six, les autres un permis spécial pour grands rouleurs professionnels. Mais même cette concession contenait déjà une critique du système répressif. L'argument naïf était que l'on soit moins punissable quand on roule beaucoup, surtout si on y est contraint pour un salaire, ce qui signifiait en réalité que tout le monde est punissable tout le temps. De fait, en France, l'automobiliste considère que l'infraction n'existe que lorsqu'elle est constatée. Sur ce fondamental problème moral, l'Etat, ce 1er juillet, a aussitôt cédé, en acceptant de ne plus contrôler les disques (chronotachygraphes) des camions, qui permettent de vérifier rétrospectivement l'ensemble des vitesses d'un trajet ; et accepte ainsi d'étendre aux camionneurs, qui en étaient jusque-là privés, le principe du « pas vu, pas pris ». Au regard de cette concession, la loi sur le permis à points ressemble à l'ignoble brandissement du condom face au sida par les sécuritaires de la raison si hostiles à la vie au profit d'une survie perpétuelle ; sauf qu'ici, la capote avant d'être enfilée est aussi préalablement et officiellement percée.

Ce peu de choses, que l'information a fort mis en avant, a fait peu d'effet. Non pas que les camionneurs aient soudain décidé qu'il valait mieux mourir d'un sida, parce qu'on préfère mourir d'amour que de survivre de petites chicanes, non, c'est simplement que le mouvement commençait à se compter, à se plaire, bref à prendre conscience de soi, comme l'aurait souligné Hegel. L'information elle, tentait déjà de compenser par un grand tapage d'avoir pris position si fermement et si tôt, autant à la légère. Mais ce grand tapage avait aussi pour fonction de minimiser l'attaque, ce jour même, du centre commercial d'Etampes par de jeunes banlieusards furieux de la mort de l'un d'entre eux, et la mise à sac d'entrepôts (y compris les voitures des employés), à Cavaillon, par une centaine de paysans furieux. Enfin, à part André Loignel, bien peu de contemporains se souviennent de la digne réception qui a été faite à ce ministre de l'Aménagement du territoire en tournée chez les habitants de Cherbourg remontés, et qui a coûté 50 blessés lors des affrontements avec les CRS.

Le 2 juillet, le mouvement est installé. Des coordinations naissent (celle de Lyon : « Nous avons décidé à la majorité des votants l'abrogation du permis à points tel qu'on nous l'a imposé »). Les policiers eux-mêmes se sentent parfois plus automobilistes que casseurs de barrages : « Heureusement on est soutenus par les CRS qui nous disent : “Allez-y les gars, si vous cédez vous n'aurez rien !” » Les gouvernements voisins appellent leurs ressortissants à différer leurs vacances. Celui de France, et son alliée fanatique l'information dominante, en sont réduits à dénoncer la prise d'otages. Il convient d'ailleurs au passage de signaler cette formule morale. « Prise d'otages » est invoqué chaque fois qu'un conflit a des conséquences sur des tiers, c'est-à-dire qu'il peut l'être pour chaque manifestation, et chaque grève. Mais même si les tiers étaient des otages, ce qui est évidemment une exagération rhétorique, mais qui est presque prise à la lettre aujourd'hui, ils ne peuvent être les otages que de ceux qui sont responsables du conflit. Or, dans aucune entreprise, les salariés ne sont les responsables de l'entreprise ; en cas de grève, c'est évidemment la direction de l'entreprise qui est responsable ; donc ce ne peut être qu'elle qui « prend en otages ». Et dans le cas présent, où le mouvement est une réaction à une loi, le responsable « preneur d'otages » est l'Etat, qui édicte la loi. Prise d'otages n'est qu'un exorcisme creux et particulièrement vicieux : il a pour fonction de clouer au pilori ceux qui dérangent le triste quotidien, et de neutraliser les tiers en emportant leur adhésion de victimes.

L'unité et la profondeur du mécontentement sont apparues à la lumière des alliances les plus variées et surprenantes de ce singulier mouvement. Il faut citer en tête l'appui silencieux de la majorité de la population. Plus activement, les paysans l'ont soutenu pendant toute sa durée. Le 2 juillet commence la protestation des producteurs de fruits frais dans le Vaucluse, qui perdent leur récolte annuelle parce que les barrages les empêchent de livrer. L'imbécile ricanement du 'Monde' dans l'article intitulé « Bloqueurs bloqués », qui se gausse de ce qu'après avoir bloqué les routes les paysans s'y trouvent à leur tour bloqués, fait, comme tous les autres sur le même sujet, abstraction de ce qu'à aucun moment ces paysans ne s'en sont pris aux routiers, mais ont toujours tenu pour unique responsable de leur perte ce gouvernement qui ne veut pas retirer ce permis chicanier. 

C'est le même jour qu'une des principales conditions de victoire de tous les mouvements en France a été perdue par celui-là : prendre Paris est nécessaire, et probablement suffisant. Le gouvernement le sait, qui arrête les 40 routiers venus manifester, voire bloquer la capitale. Et pendant tout le reste du mouvement, Paris, le centre de l'Etat et de l'information, en sera épargné.

Mais le 3 juillet, il faut se rendre à l'évidence : le mouvement s'étend encore. « Quand ils auront leur femme vendredi au téléphone, ils vont marcher droit et rentrer chez eux », assurait, au 'Monde', un observateur deux jours plus tôt. C'est plutôt les femmes qui sont venues rejoindre leurs routiers de maris sur les barrages. Bérégovoy, chef d'un gouvernement décomposé, annonce fermement que le permis ne sera pas retiré. Ce n'est pourtant pas la première négociation couronnée de succès qui l'y a encouragé : à Phalempin, principal barrage de l'autoroute Lille-Paris, où ce sont les CRS qui ont organisé l'AG, lorsque les délégués reviennent, ayant accordé quelques concessions, ils sont hués, battus, désavoués. Les négociations sont rompues. Dans certaines villes s'installent de comiques psychoses à la pénurie (ce monde est si religieux !), notamment à l'essence. Et la référence à la France bloquée en grève revient jusque dans les apocalypses du maire de Nevers : « Je n'ai jamais vu la ville aussi silencieuse depuis Mai 68. » Lorsque la misère quotidienne se tait, le bureaucrate gestionnaire qui voit le silence n'entend plus rien.

Ailleurs aussi on ridiculise le silence : « Vaucluse en deuil », où les paysans bloquent routes et voies ferrées ; à Limoges, 500 ouvriers de Renault obligent directeur et cadres à manifester avec eux contre les licenciements qu'ils ont accepté de gérer ; à Cherbourg, une nouvelle manifestation vient souligner celle de la veille.

Le 4 juillet est un samedi. Le nombre des barrages est monté à cent quarante. Il y a 4 morts depuis le début du conflit, résultats de tentatives d'automobilistes de forcer les barrages. L'information ne les monte pas trop en épingle, ce qui lui permet d'omettre totalement qu'en conséquence d'un tel mouvement, il y a loin aux 30 morts par jour qu'exige la moyenne qui permet d'arriver à 10 000 morts par an et qui serait, si ces bilans avaient quelque véracité, largement dépassée lors des départs en vacances des premiers jours de juillet. Le gouvernement a repris des négociations avec des organismes du patronat et des syndicats (3 % des camionneurs sont syndiqués). Les tâcherons de cabinet croient que leur aptitude et leur justification consistent en la négociation ; aussi en inventent-ils à l'usage des spectateurs. Mais ces grossières coutumes ne sont même plus perçues par ces spectateurs, et la déchéance de ces gouvernements libéraux se lit autant dans la mesquinerie des subterfuges que dans la distance par rapport à ces spectateurs. Tout le monde a compris que ni gouvernement ni bloqueurs de route ne peuvent céder à des compromis : « (...) le gouvernement n'a dès lors d'autre moyen que de faire intervenir la force publique. Au risque que des affrontements et des dérapages relancent un conflit qui entre dans sa deuxième semaine ». 

Le dimanche 5 juillet, la menace la plus paisible est au paroxysme. Les barrages sont approvisionnés par les villes et villages voisins. Des fins de kermesses alternent avec des débuts de meetings. La parole va déjà plus loin que le permis, est en train de doubler, à vitesse non réglementée, les conditions professionnelles des pauvres concernés. Les vacanciers ne se plaignent même pas autant que d'une grève de métro ou de train, où, pourtant, la plupart des récriminations sont le change bourru de plébéiens ravis d'avoir à donner un avis sur un événement qui bouscule les tristes prévisions de l'habitude. Etre bloqués dans la négativité sur l'autoroute, ce n'est pas des vacances ! C'est déjà le début d'en sortir. Et la presse avoue bien ne pas comprendre même cette misère, en énumérant longuement les politesses policières qui, voulant éviter aux touristes les embouteillages massifs, leur détaillent les mille détours possibles, pour voir ces alliés présupposés remercier avec courtoisie, puis changer de camp en fonçant tout droit sur le barrage le plus proche. C'est que c'est bien plus excitant à visiter que tel château-musée, telle plage-poubelle, tel camping-camp de réfugiés : ces distractions-là peuvent attendre, au contraire de celles qui marquent le temps.

De même, les tentatives de l'information pour diviser les camionneurs en raison de leur xénophobie ont dû se rengorger selon l'évidence inverse. « Depuis, les étrangers sont à certains endroits les plus déterminés. Un Belge a menacé de brûler son camion, dit-on ici. » Et la quête de raisons pour expliquer cette solidarité qui brise les clichés d'un milieu nationaliste par définition échoue également dans de byzantines supputations pseudo-économistes. Les routiers, comme les touristes, ont trouvé plaisir et dignité dans ce mouvement. Il n'en faut guère plus, dans le vieux monde occidental d'aujourd'hui, pour rompre avec la loi, la propagande et quelques vieilles idéologies pourries. Bérégovoy, dans 'le Journal du dimanche', déclare la guerre à la vie que préconisent ces barrages : « On ne joue pas avec la vie, on ne joue pas avec la sécurité. » Mais qu'est-ce qu'on en ferait d'autre, selon l'Etat français ?

Les degauches au gouvernement et dans l'information dominante ont, dans leur inconsciente levée de bile, montré ce qui les a rendus si haïssables dans le monde entier depuis vingt ans qu'ils en dirigent le vieillissement : leur rationalisme étroit, leur fanatisme à toujours vouloir gérer, et gérer plus sobre et plus chiant. Quoique les analystes en disent et en diront : le fond du face-à-face routiers-gouvernement se résume à une révolte indignée de la pétulance contre le pète-sec qui veut encore rationner. L'incompréhension des deux partis est dans leur incapacité à exprimer cet enjeu, et leur distance qui n'a même pas permis de trouver le moindre canal pour dialoguer est l'exacte distance qui sépare désormais le monde officiel des gestionnaires et la population des gérés dans l'organisation de la société. En France, il faut remonter à la période de décomposition avancée que Tocqueville appelait Ancien Régime pour rencontrer un fossé aussi profond, et qui se creuse aussi vite.

Les observateurs patentés, qui suppléent désormais le vide programmatique et théorique des gouvernements et des principaux possesseurs de marchandises, n'ont pas cessé de trébucher sur les arbres morts que leurs propres idéologies ont laissé pourrir au fond de ce fossé. Depuis que la grève des camionneurs chiliens en 1973 est considérée comme le signal convenu du putsch de Pinochet contre Allende, l'impression qu'avait déjà laissée le camionneur-syndicaliste-gangster américain Jimmy Hoffa est devenue une donnée de base : les camionneurs sont d'extrême droite. A cela, en France, même la droite politicienne a craint d'objecter. Et donc, à la suite de l'ensemble de l'information, l'ensemble des valets de l'Etat et de la marchandise a essayé de présenter et de comprendre ce mouvement comme une régression de la lutte de classes dans la lutte corporatiste. C'est la raison pour laquelle l'information essayait de déchoir les camionneurs en ivrognes, machos, imbéciles, par endroits racketteurs ; en racistes et xénophobes ; et en égoïstes dont la courte vue n'hésite pas à léser toutes les autres corporations. Mais rien de cela ne se vérifie. La moralité des camionneurs a été parfaitement quelconque, ce qui chagrine d'ailleurs une Bibliothèque des Emeutes, qui se serait réjouie qu'elle fût scandaleuse. Le vin a même été interdit sur certains barrages, où la corporation des péripatéticiennes s'est en partie déplacée vers cette clientèle d'ordinaire mobile ; quant aux droits de passage, c'est de leur rareté qu'on doit s'étonner. Vol, viol, meurtre sont des délits d'opinion. Eh bien, ce mouvement n'a pas commis dans ce sens-là des délits d'opinion.

C'était un mélange où la lourde architecture stalinienne des classes sociales n'est plus qu'une ruine sur laquelle sont venus bourgeonner les bidonvilles de l'organisation sociale qui se met en place selon les divisions de la communication : ouvriers, petits patrons, paysans, touristes, les classifications actuelles ne savent pas encore policer socialement ces tas informes que grossissent encore les ambulanciers, les chauffeurs de taxi et de bus, et les motards, pêle-mêle français et étrangers. Cet amas de pauvres modernes n'était nullement le prolétariat, ce n'était nullement non plus une corporation, mais bien ce qu'on peut appeler des gueux, qui manifestent à la fois leur gueuserie et la protestation la plus ingénue contre cette gueuserie. Quant aux autres corporations lésées, c'est justement en tant que corporations que l'industrie du tourisme ou les cultivateurs l'ont été, ce qui indique a contrario ce que le mouvement des camionneurs a d'anticorporatiste. Les individus, eux, avaient fait abstraction des divisions rigides d'un temps passé, et c'est une des plus incommodes leçons pour ceux qui ont hâte d'entrer dans la plus généralisée des confrontations. Qui n'a pas vu, ces jours-là, de multiples véhicules individuels circuler avec le calicot « Non au permis à points » est resté enfermé dans son cabinet ministériel, ou dans la rédaction de son journal.

Voilà donc le terrain meuble et mouvant sur lequel se produisent les graves mutations de l'ex-classe ouvrière. Les policiers, et c'est également un effet de ce glissement, en sont les premiers conscients ; probablement aussi parce qu'ils ont toujours mieux compris Beria que ce Marx demeuré si indiscutable aujourd'hui chez tous ceux qui donnent des leçons en révolution sociale ou en libéralisme économique. Car c'est bien Philippe Massani, ex-directeur-général des Renseignements généraux, qui dénonce dans un mélange de naïveté et d'ambiguïté « ce monde parallèle en train de se doter d'une conscience de classe ».

3) Le 6 juillet et les jours suivants

Le 6 juillet au matin, il y a cent soixante barrages routiers en France.

A 4 heures, la première intervention de l'armée depuis l'arrivée des socialistes au gouvernement avoue la gravité du conflit. C'est à Phalempin qu'arrive une avant-garde peu sûre d'elle. Vers 8 heures, elle n'a réussi qu'à repousser un seul camion dans le fossé à l'aide d'un char d'assaut. Pourtant, cela suffit. Les autres routiers dissolvent le barrage. Il y a 160 arrestations et mille procès-verbaux.

A midi, à Solaize, près de Lyon, ville complètement bloquée, dont les stations-service sont ravitaillées depuis plusieurs jours par les forces de l'ordre, là aussi, les routiers dégagent. Dans la soirée, le gouvernement, avec ses partenaires fantômes, signe un accord qui prévoit certaines améliorations pour la profession des routiers effectivement engorgée et exploitée à outrance par un capitalisme libéral en pleine expansion. Ces deux événements sont repris en leitmotiv ininterrompu et surévalué par l'information : le bâton d'un côté, la carotte de l'autre.

Le lendemain, les fruits de cette double contre-offensive se font sentir. Cinquante barrages sont levés à 8 heures du matin, dont la moitié par la force, rare équilibre entre répression et récupération. De nouveaux barrages se forment cependant, et ceux qui ont été levés se reconstituent souvent quelques kilomètres plus loin, ou se muent en opérations escargot, c'est-à-dire roulant au pas, comme les taxis entre Pontoise et Paris. Les paysans continuent, bloquent Toulouse, l'île de Ré et plusieurs voies ferrées.

Le 7 est également le jour des principaux affrontements. Il fallait lâcher le pavé, mais nombre des vaincus voulaient que ce fut avec l'honneur des combats. A Phalempin, le barrage s'est reformé ; dans le quartier Gerland de Lyon, c'est presque une émeute, lorsque les jeunes de cette banlieue se sont joints aux routiers dans l'affrontement avec la police, alliance exemplaire dont l'avenir va multiplier les duplicatas. Le gouvernement clame quatre-vingt-dix barrages partis sur cent seize, ce à quoi personne ne réplique.

On peut se demander pourquoi l'affrontement n'a pas été plus vigoureux, et pourquoi céder sans avoir obtenu au moins le prétexte. Mais ce mouvement était débonnaire. Il s'est fait comme du Rabelais, au vin et au saucisson, à la sensualité. Il y avait beaucoup de soleil. Sa musique, c'était des rires et l'argent de la route. « Tarzan », « Nanard » sont les noms que l'information a essayé vainement de bombarder vedettes (« Le chef c'est Nanard, mais modeste, il nie : “J'suis le chef que de moi-même” »). Ces gaillards-là ont été surpris de leur force, de leur unanimité, de leur popularité soudaines. Il ne faut donc pas s'étonner de leur faiblesse tout aussi soudaine. La brimade appelée permis valait-elle qu'on déracine leurs indéracinables 40 tonnes ? Qu'on se batte à la mort contre un monde qui est prêt à tuer pour ramener l'ennui ? Certains diront oui, et ils n'auront pas tort. Mais eux ont pensé que non ; et c'est eux qui faisaient alors.

Le 8 et le 9, les derniers barrages cessent de résister devant la démobilisation générale et l'attaque frontale ennemie – les 12 et 13, des centaines de motards viennent encore reconstituer le barrage de Phalempin. Les lésés de tout ordre défilent pour présenter leur addition au gouvernement français, tenu pour seul responsable par les arboriculteurs et les hôteliers, les gouvernements du Royaume-Uni et des Pays-Bas. Plus tard, le gouvernement français, au milieu d'une surenchère de chiffres, vérifiant mois par mois le bien-fondé sécuritaire de la vexation en six points, la transformera en vexation en douze points. Bérégovoy s'ose enfin à la télévision : « (...) on ne peut accepter la dissolution de l'autorité de l'Etat » décrit fort bien l'enjeu atteint.

L'information dominante s'est montrée en cette occasion dans sa force et sa faiblesse récentes. En 1992, elle commence à baliser son territoire. Ici, face à une grève à laquelle elle est opposée avant même la réflexion, par épiderme, elle a su corriger le tir, transformant son arrogant dédain initial en grand spectacle ; elle a su masquer à travers ce grand spectacle le fond du conflit et le fait que le fond de ce conflit lui échappait : c'est un mouvement auquel les réponses ne pouvaient être triviales parce qu'il échappait aux catégories courantes, aux bipolarisations rodées. C'est pourquoi, au contraire de Los Angeles, auquel il ne le cédait nullement en importance critique (il n'y a pas émeute dans la grève des camionneurs), il n'a pas été un spectacle mondial. Aux frontières de l'Etat français, il a été réfracté sous les intérêts locaux, affréteurs allemands, touristes britanniques, camionneurs belges, exposition universelle espagnole. Le spectacle de l'émeute de Los Angeles tient au caractère classique, élucidé, à portée maîtrisée, postsituationniste qu'on peut prêter à l'émeute ; l'information sait qu'elle peut la formuler en criant plus fort que ceux qui la font. Elle en possède une théorie achevée.

Pour la grève des camionneurs, c'est le contraire. Son spectacle est un cri de peur, son encre celui de la sèche attaquée. Dans ses attributions récentes, l'information dominante cumule maintenant celle de l'élaboration de la théorie dominante, artistes et intellectuels stipendiés, syndicats, partis politiques, Etats, psychologues, curés et grands bourgeois ayant été incapables de dépasser, en la matière, un vulgaire artisanat préspectaculaire. Aussi, si dans la plupart des conflits elle tempère une sorte de fanatisme des valeurs de sa corporation par une tyrannie de la modération, ce n'est pas parce qu'elle aurait le sens de l'équilibre et du contrepoids des grands trapézistes, mais parce qu'elle occupe aussi la première ligne de la récupération. Au contraire, face à un mouvement d'essence imprévue et incompréhensible, tout à fait inattendu (malgré de sérieuses prémices, 1984 notamment), comme cette grève de camionneurs, elle se montre plus radicale et au moins aussi vindicative que le parti de la répression, l'Etat.

L'information ennemie occupe, dans un monde dont la communication est le principe, une place centrale. L'aliénation est son aliment et sa matière : elle se profile, non plus en discours d'Etat, ou de classe, ou d'une philosophie particulière, propagatrice et protagoniste d'une théorie consciente, elle est la cristallisation de la pensée devenue étrangère à elle-même, appliquée à un événement et rapportée comme nouveauté de cet événement. Par Los Angeles et les camionneurs, elle a appris, sans bien sûr le savoir – son cynisme est infime et borné –, à moduler sa puissance, sa capacité d'intervention, qui l'ébahit encore elle-même ; mais aussi, sa souplesse de conscience, jusqu'ici aussi massive qu'abjecte semble s'user dans sa croissance. Et les camionneurs en France ont révélé que lorsque la négativité surgit hors normes, elle ne sait plus la retourner.


 

(Extrait du bulletin n° 6 de la Bibliothèque des Emeutes, texte de 1993.)


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