Aperçu de 1990


 

5) Chute du stalinisme

Au début de 1990, en plein spectacle de la Roumanie [13], la fin du stalinisme, personnifiée par la chute du dictateur soviétique Gorbatchev, paraissait une question de semaines, sinon de jours. Cette impression s'est confirmée dès les premiers jours de janvier, avec la plus importante insurrection que l'URSS ait connue depuis 1921, du moins en admettant que même Staline n'aurait rien pu dissimuler d'aussi gros. Il faut dire que, encore toute à son délire roumain, l'information occidentale a cru au même fracas, d'autant plus qu'elle a pu monter l'émeute de Bakou [37] en pogrom antiarménien, elle qui avait pris fait et cause sans partage pour les Arméniens, martyrs de naissance et surtout chrétiens à aspiration occidentale. L'émeute est devenue insurrection, au grand désarroi des récupérateurs azéris débordés, si bien que l'Armée rouge dut intervenir, et pour la première fois de son existence avec la bénédiction officielle du président des Etats-Unis. A peine moindre, mais beaucoup moins connue, l'insurrection au Kirghizistan [26] de juin et juillet est l'exemple d'une répression préventive s'installant dans la transformation durable du stalinisme modernisé. Ce n'est pas que, face à la dissolution de l'Etat soviétique, Gorbatchev puisse être serein, ne serait-ce que parce que sa popularité publicitaire a entièrement disparu ; mais ce dictateur a appris à gérer la déliquescence, et à manier ses policiers inquiets, ses cadres mafieux, et la presse occidentale, qu'il est parvenu à amuser en lui jetant sa caricature bouffie, sorte d'os en plastique, Eltsine. D'autres émeutes ont secoué l'URSS, mais leurs échos ne convergent plus, et il n'y a pas que le président des Etats-Unis qui a compris que son devoir est d'éviter la révolution russe à venir. 

L'insurrection roumaine a connu en 1990 tous les dégoûts et toutes les défaites qui résultent de l'hystérie et de la crédulité qui l'avaient fait avorter dès 1989. A l'usage thermomètre ou régulateur de tension du chiffre des morts, de 60 000 à 700 puis 1 000, a succédé l'émeute de Tirgu Mures [24], qui est peut-être le type de ce qui pourrait s'appeler une contre-émeute moderne. Le bâton de l'interethnique a, là, liquidé une bonne partie de la révolte. Restaient les « golans » de la place de l'Université, qui se sont révélés la baudruche tenue à bout de bras par l'information occidentale. Enfin, ce qui a permis à ce mauvais perdant de reconnaître le mauvais gagnant qu'était le nouvel Etat roumain a été leur mensonge commun sur l'émeute du 13 juin : 6 émeutiers ont été tués par l'armée et, seulement plus tard dans la nuit, les mineurs sont arrivés à Bucarest casser la gueule à quelques opposants politiciens. Depuis, on accuse les mineurs d'avoir tué 6 opposants politiques. Par cette substitution de théâtre, où des comédiens remplacent les acteurs de l'histoire, l'armée est lavée de la répression par les mineurs manipulés, et l'émeute est nettoyée des mémoires, remplacée par quelques héroïques golans d'opposition, martyre d'une antidémocratique machination. Depuis cette fin, c'est en bougonnant que les pauvres de Roumanie manifestent, et c'est en bougonnant que l'information occidentale nous l'apprend, ainsi que les commentaires bougons d'un gouvernement roumain qui se frotte les mains. 

Le reste des Etats staliniens a vu l'annexion de l'ancienne RDA et de son hooliganisme, qui, lui, s'est unifié sans discrétion à celui de la RFA, une révolte bulgare difficilement contenue, une émeute au Xinjiang [38] qui a transpercé le mur des lamentations à propos du mouvement étudiant chinois [5] vaincu en 1989, une nouvelle insurrection au Kosovo [8], mais affaiblie par rapport à l'année précédente, perdue dans la dissolution grandissante de la fédération yougoslave (qui ne refusera plus longtemps de prendre des leçons de maintien chez Gorbatchev) et sans jonction avec ces autres albanais, d'Albanie. En Albanie [cf. « Le feu en Albanie »], en décembre, a eu lieu la plus vigoureuse critique de l'Etat stalinien hors d'URSS cette année, vigueur difficile à récupérer, puisqu'elle est désapprouvée aussi bien par l'opposition démocratique albanaise que par le gouvernement, qui, contrairement à celui universellement décrié de Roumanie l'an dernier, est pérestroïkiste. Trop tard : comme ailleurs, les émeutiers albanais voient dans le repentir de leurs staliniens une dernière ignoble ruse pour échapper à la vengeance. Ce n'est pas la Bibliothèque des Emeutes qui appellera, dans ce cas particulier, à la tolérance. 

Enfin, il convient de ne pas oublier le comique de la débandade de tous les staliniens d'Afrique (sauf Mandela, pour lequel il est bon de rappeler qu'il est resté stalinien), qui n'étaient staliniens qu'autant que les staliniens leur vendaient des armes. Ceux-là non plus ne sont pas encore sortis des justifications embarrassées, et de la vengeance.


 

(Extrait du bulletin n° 2 de la Bibliothèque des Emeutes, texte de 1991.)


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