Aperçu de 1990


 

2) Afrique du Sud

C'est le 16 juin 1976 à Soweto, simultanément qu'en Pologne, que commence la période de la révolution iranienne. Mais si l'insurrection polonaise a atteint son zénith dès 1981, celle de Soweto cherche encore le sien en 1990. L'Afrique du Sud [26], pendant cette année, a été un concentré du monde. D'un côté, le spectacle qui prétend à l'historicité (libération de Mandela) ; de l'autre, une multiplication vertigineuse d'émeutes. L'Afrique du Sud, depuis longtemps, remplit une fonction séparée dans le monde, c'est l'Etat du racisme. L'apartheid officiel de cet Etat a eu pour conséquence que la communauté des Etats traite l'Afrique du Sud selon les règles de l'apartheid. Cette spécialité idéologique a permis de séparer les pauvres révoltés d'Afrique du Sud des pauvres révoltés du reste du monde. En effet, toute révolte dans cet Etat est présentée hors de cet Etat, non pas comme une révolte contre l'Etat, la marchandise, la pensée dominante ou la misère, mais comme une révolte exclusivement contre l'apartheid. Pour les pauvres du monde entier, cette révolte toujours en retard sur la leur, eux dont les Etats ne sont plus officiellement racistes, ne recueille que la commisération, au lieu de provoquer une contagion pratique. 

Depuis toujours, la fin de l'apartheid en Afrique du Sud est une des premières exigences de la vertu de ce monde. Depuis quelques années, cette exigence s'était résumée à l'exigence de libération du vieux stalinien Mandela, dans la forme la plus moderne qu'élabore le spectacle : plusieurs kermesses de rock simultanées sur différents continents, le tout télévisé. Le seul détail que les managers de ces happenings de la bonne conscience ont négligé est que Mandela est resté stalinien. En 1990, après le spectacle de l'exigence, il y eut le spectacle de la libération du stalinien, et après le spectacle de l'apartheid, le spectacle de la fin de l'apartheid. Cependant, alors que les spots restent concentrés sur la vedette, qui maintenant sert de cache-vérité à l'Afrique du Sud, l'apartheid n'est pas fini, et Mandela est resté stalinien. 

Les émeutes d'Afrique du Sud se sont déroulées en deux temps, avec une coupure en août. Tout d'abord, c'est une série d'explosions encore sans lien, chacune inattendue, dont le rythme s'accélère, sans laisser la parole à Mandela, De Klerk, Buthelezi ou d'autres récupérateurs, parallèlement à l'obscure guerre du Natal. A partir d'août, les émeutes jusque-là impossibles à encadrer se laissent coaguler dans des combats interethniques, autour de Johannesburg. Ces combats, dont le spectacle a contribué à fabriquer l'« interethnique », et qui sont effectivement maintenant dans le spectacle, sont une sorte de synthèse lumineuse des obscures émeutes, et de l'obscure guerre du Natal. Quoique les émeutiers s'y sont laissé opposer, faisant ainsi entre eux ce dont la meilleure police n'est pas capable, leur violence contient encore une sauvagerie et une critique qui interdisent encore à leurs ennemis du spectacle de les approuver, par les armes aussi bien que par le prêche. Et, d'ailleurs, à la périphérie de ces tragiques boucheries des ghettos, se forment de nouvelles émeutes spontanées. La division de ce mouvement est devenue la principale préoccupation des Blancs libéraux et des Noirs staliniens. Ils ont mieux vu que leurs auteurs qu'en 1990 les émeutes d'Afrique du Sud ont touché à la fois les bantoustans, les bidonvilles noirs et les banlieues blanches, les ouvriers, les étudiants et les militants de base, les enfants, les squatters et les hooligans, Johannesburg et Le Cap, Durban et Pretoria. Les pillages et les actes de vengeance sont devenus quasi quotidiens, et les mensonges, tours du monde et pleurnicheries de Mandela (qui est resté stalinien) ne suffisent presque plus à rappeler au monde que, théoriquement, c'est contre l'apartheid qu'on se bat en Afrique du Sud. Que l'explosion majeure de 1990 en Afrique du Sud soit restée une explosion majeure pour la seule Afrique du Sud est pourtant due à cette certitude.


 

(Extrait du bulletin n° 2 de la Bibliothèque des Emeutes, texte de 1991.)


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