Avant la publication de 'l'Assemblée générale des chômeurs à Jussieu' (1)

Un correspondant fait découvrir à l'OT l'assemblée de Jussieu (janvier 2002)

XX à l'observatoire de téléologie (21-01-02)
Subject: Message envoyé depuis le site
 

Ben voilà, je suis étonné que dans "Evenements" "depuis 93", on ne parle ni du mouvement des sans-papiers, ni de celui des chomeurs, qui, tous deux, avaient pris certaines libertés avec les encadrements militants habituels... Notemment l'AG Jussieu !
Rapidement (enfin pas trop...), pourquoi ?

 




observatoire de téléologie à XX (22-01-2002)
Subject: Re: Message envoyé depuis le site
 

Nos interventions sont toujours dans la perspective des gueux à l'offensive. Il ne nous a pas semblé que les "sans-papiers" et les "chomeurs" français se soient inscrits dans cette lignée. Si nous nous trompons sur ce sujet, nous serons les derniers à vous empêcher de nous en faire la démonstration. Dans la mesure où celle-ci correspondrait à la perspective ci-dessus, nous serions ravis, avec votre permission, de l'intégrer dans la partie "Evenements" "depuis 1993".

 




XX à l'observatoire de téléologie (22-01-02)
Subject: Re: Message envoyé depuis le site
 

Vous faites bien d'être précis... Si, dans votre perspective, les sans papiers et les chômeurs n'entrent pas dans la définition de gueux, quelle est-elle ?

Certaines occupations de lieux par des sans-papiers et certaines réquisitions de marchandises ne peuvent-elles pas entrer dans le cadre de la définition d'offensive ?

XX

 




observatoire de téléologie à XX (22-01-2002)
Subject: Re: Message envoyé depuis le site
 

Notre définition de "gueux" est précisément : pauvres à l'offensive.

Il y a des gestes offensifs dans de très nombreux mouvements sociaux défensifs, dans la plupart des grèves sauvages par exemple. De même, il y a de très nombreux actes défensifs dans les plus belles émeutes. Pour les sans-papiers et les chômeurs, nous avons vu essentiellement des mouvements voulant intégrer l'organisation sociale en place, pas sa critique. Nous n'avons, par exemple, pas entendu dire que des participants au mouvement des sans-papiers, au lieu de demander des papiers, auraient combattu pour l'abolition des papiers pour tous ; ni que des chômeurs du mouvement des chômeurs auraient exigé une critique systématique d'une société organisée autour du besoin et, par conséquent, du travail.

Encore une fois, nous avons suivi ces deux petits spectacles bien médiatisés (ou les informateurs ennemis ne semblent pas avoir été mal accueillis) d'une oreille distraite. Si nos lacunes nous ont empêchés de voir l'essentiel, merci de les combler.

 




XX à l'observatoire de téléologie (22-01-02)
Subject: Re: Message envoyé depuis le site
 

J'ai participé en 97-98 à des actions avec un groupe dissident, puis carrément séparé de AC, nommé Assemblée Jussieu, pour cause de lieu de réunion pratique. "chomeurs heureux" était aussi pardfois utilisé (je ne connais pas lesl liens avec le groupe allemand du même nom) Réclamant le droit au non-travail, un revenu minimum universel, la gratuité pout tous des transports publics, et puis, tiens, souhaitant aboutir à la révolution par la transformation de la ville en terrain de jeu. Plusieurs centaines de personnes au sommet du mouvement, l'expérience a duré 2-3 mois...
Ca se situait quelque part entre les situ, l'an 01, et le trotskysme, quand ça a vait envie de situer entre deux cuites...
Ce n'était pas l'essentiel... Mais c'était là ! J'ai été témoin de ce qui est dit dans le texte ci-lié, de la naissance d'un mouvement trés émancipé, et de son agonie, entre activisme vide et discours poseurs. Mais...la TAZ existe, je l'ai vécu !
XX

http://www.geocities.com/jf_martos/ce_qui_ne_fut_pas.htm

Des mots clés pour allez sur Google :
"Assemblée Jussieu"
"Le lundi au soleil"

 




observatoire de téléologie à XX (25-01-02)
Subject: AG (Bonne version, avec italiques)
 

Merci de votre texte, qui a été instructif.

1. En premier lieu, c'est une analyse qui correspond aux attentes minimales que nous avons d'analyses sur les événements sociaux, et c'est suffisamment rare pour être signalé : un récit et une tentative subjective de commenter les événements.

2. Certaines idées contenues dans cette analyse nous paraissent proches des nôtres. En particulier le rôle des organisations syndicales et des groupes qui ont tenté de prendre leur relais dans l'encadrement du mouvement ; les illusions des chômeurs sur eux-mêmes et sur la portée de ce qui est possible, leurs actions calquées sur le passé, comme la énième tentative de retrouver une poésie des slogans et des phrases-clés, en remake de 68 ; l'attitude patiente et mesurée de l'Etat, qui semble avoir misé sur la véritable misère du mouvement, c'est-à-dire cette vraie pauvreté des pauvres, que Buñuel avait si bien réussi à montrer dans le banquet des clochards de Viridiana : quand on est minable si longtemps (Wolff écrit avec beaucoup d'à propos inter-minable), le minable surgit même dans l'abondance et poignarde le possible dans le dos. Nous en savons tous quelque chose.

3. La lecture est plaisante, parce que le texte est simple, factuel, mais non dénué de ce plaisir dans l'écrit qu'on sent à la lecture. Voilà pour les forces de ce texte.

4. Les faiblesses nous paraissent plus importantes puisque, au-delà du texte, elles le mêlent aux événements décrits, si bien que ce sont là également les faiblesses du mouvement. D'abord, la première erreur des chômeurs, comme dit l'auteur, ne nous paraît pas avoir été une erreur théorique sur « la définition même du chômage », mais sur l'appellation même de « chômeur » et sur la prise en compte du mot « chômage ». La faiblesse à se développer vers les travailleurs, de tenter au moins de déclencher « une grève générale insurrectionnelle » nous paraît relever, sinon d'une vieille fadaise restée solidement enchaînée au plafond de l'héritage décati de l'ouvriérisme le plus éculé, au moins d'une possibilité qu'il convenait d'évaluer après bien d'autres urgences. Et, si d'emblée il fallait élargir le mouvement dans une direction déterminée, c'était certainement vers les gueux, c'est-à-dire vers ces pauvres modernes qui depuis dix ans produisent seuls, même en France, de véritables bouffées offensives, fort brouillonnes, isolées, séparées, décriées, et qui généralement habitent les cités de banlieue où ils semblent mépriser de manière égale, quoique souvent contradictoire, à la fois le travail et le chômage.
Et puisque le texte prétend, en préambule, que le mouvement aurait eu un écho dans le sud de l'Italie et en Grèce, il lui incombait au moins d'être précis sur ce franchissement, si rare et si périlleux, de la frontière d'Etat, comme limite, plutôt que de faire de ce pas qualitatif un simple ornement pour rendre grâce à la grandeur du mouvement. Car, dans ce texte franco-français, les causes du mouvement en France sont toutes présentées comme des causes structurelles profondes, pour parler comme les économistes, comme si de telles causes n'auraient pas dû produire des effets analogues ailleurs ; ou comme si l'organisation spécifique du chômage par l'Etat, en France (qui propose aux chômeurs des lieux et des moments spécifiques de regroupement), n'était pas une cause à effet directe du commencement de ce mouvement.

5. L'incapacité à dépasser l'appellation de chômeur est d'autant plus grave que, exempt de discours public véritablement audible, le mot chômeur a plombé la signature du mouvement. Très concrètement : pour que nous, OT, ayons si peu entendu parler de l'assemblée générale de Jussieu avant votre envoi, aussi bien en tant qu'héritiers de la Bibliothèque des Emeutes qu'en tant que chômeurs, montre à quel point l'appellation a fait écran au possible.
Tout honteux que nous sommes de cette ignorance, nous n'en sommes par ailleurs pas surpris. Nous constatons tous les jours comment ceux qui voudraient changer le monde ignorent, depuis un bon quart de siècle, les véritables mouvements négatifs de leur époque. Nous sommes encore fréquemment contredits sur des événements capitaux qu'ils ne connaissent pas par la morgue de révolutionnaires autonommés, qui ne peuvent simplement pas imaginer ou admettre que des événements contemporains aient pu contenir des faits qui vont dans le sens de ce dont ils rêvent, et leur échapper complètement. Mais l'information dominante (et pour le mouvement de l'AG de Jussieu le texte rapporte que les médias se sont tus à partir de mi-janvier 1998) sait aujourd'hui donner l'illusion que ses choix correspondent à l'importance de ce qui se passe. Bien sûr, tous ceux qui y pensent savent très bien que ces choix correspondent à d'autres impératifs ; mais même la minorité qui a de ces coups de conscience n'en valide pas moins la presque-totalité des choix médiatiques.

6. Si le mouvement est resté aussi économiste que son analyse, pas étonnant qu'il soit resté aussi englué dans ce qu'il combattait. Les racines du « chômage » vont bien au-delà de l'appellation contrôlée par plusieurs administrations, qui en est devenue le sens commun, et même au-delà du sens général qu'en donnent les économistes, c'est-à-dire d'une marge aussi nécessaire au travail que l'est celle d'une page par rapport au texte écrit. Le chômage, en effet, est la traduction d'un désœuvrement, d'un double désœuvrement. C'est d'abord le désœuvrement que contient le projet des gestionnaires. Le libéralisme, contrairement au stalinisme et au nazisme, qui dissimulaient le sous-emploi évident de leur projet derrière le travail forcé, tente de faire coller l'emploi à la mesure de son projet. Et nulle part dans son projet, pour autant qu'on puisse parler de projet dans ce qui pourrait se traduire par « brouter plus », le libéralisme ne prévoit l'indifférence, le désœuvrement, l'absence de participation que, justement, traduit très bien le chômage. La pauvreté de ce projet est effectivement telle qu'elle n'offre pas suffisamment à faire pour tous. Il est remarquable que cette insuffisance de projet, qui est véritablement une absence de projet, soit si peu commentée, et si peu critiquée.
Cette absence de critique, cependant, se conçoit par le fait que pour critiquer une absence de projet, il vaut mieux en avoir un. Or, pas plus que les gestionnaires du « broutez plus », ceux qui broutent le moins n'imaginent ce qu'ils pourraient faire d'eux-mêmes, ce qu'ils pourraient faire du monde. Et le chômage est aussi le désœuvrement des chômeurs, l'ennui, l'incapacité de se concevoir, eux-mêmes et le monde, comme leur projet, comme leur activité, et d'assigner des buts au monde, qui pourtant, sauf preuve du contraire que même la police n'est pas capable de fournir, leur appartient. L'eau de boudin finale de l'assemblée générale de Jussieu montre aussi bien que cette pauvreté, dont le chômage même sous ce nom est l'indicateur, n'a pas été en débat. La question : d'où vient que l'ennui paraît incurable, d'où vient que ce qu'on appelle activité n'est pas défini selon son but, d'où vient que les festins sont des désillusions et les débats des conversations réunit les deux parties du mouvement des chômeurs, les pleurnicheurs de prime de Noël et ceux qui veulent une « révolution de la vie quotidienne ». Dans les deux cas, l'ordinaire était bien l'ordre du jour (est-il vrai que l'assemblée générale permanente et quotidienne n'avait pas lieu les week-ends ?), et il s'agissait seulement, autant que nous puissions en juger, d'améliorer un ordinaire dont seule la définition variait de l'une des fractions à l'autre. Une telle perspective est la casserole des eaux de boudin. Les gestionnaires de la société le savent bien, puisque c'est également leur misère. S'ils n'ont pas davantage de perspective que nos chômeurs, leur misère, au moins, est plus logique : ils font l'apologie des casseroles pour eau de boudin parce qu'ils sont marchands de casserole.

7. L'insuffisance dans la critique du travail (ce nouveau 'Ce qui ne fut pas' n'est pas la pire manifestation de cette insuffisance) semble avoir été une autre limite rédhibitoire du mouvement. Quand on oscille entre « du travail pour tous » et « ne travaillez jamais », c'est comme si on courait se taper la tête d'un mur à l'autre d'une prison particulièrement solide. La critique du travail en elle-même n'a pas de sens. Ce qui a du sens, c'est la critique de l'organisation de la société autour du besoin, autour de la casserole. Le travail est l'activité nécessaire à la satisfaction du besoin. Mais, ne pas organiser la société autour du besoin ne signifie pas supprimer le besoin, la casserole, et, par conséquent, ne signifie pas supprimer le travail. Le travail continuera d'être nécessaire même quand il deviendra inessentiel. Indépendamment du fait que supprimer le travail c'est supprimer tout le travail (ce n'est pas, en effet, une solution individuelle), prétendre ou espérer supprimer le travail, c'est encore accorder au travail une place centrale, essentielle.

8. La plus grande faiblesse des mouvements sociaux depuis le spectacle de 1968 est de ne pas se comprendre et se situer dans l'histoire, c'est-à-dire dans le monde. On retrouve cette faiblesse incontestable du mouvement qu'il raconte dans le texte de Fabrice Wolff. Si l'on ne sait pas qu'une vague d'offensive gueuse dans le monde, après cinq ans de batailles indécises et de possible bien au-delà de ce qu'on a vu depuis, a été battue en 1993, il est effectivement difficile de juger de la portée et des possibilités offensives d'un mouvement aussi parcellaire et aussi peu conscient de l'être que celui des chômeurs. Le fait de se révolter quand les pauvres sont debout dans le monde entier, n'est pas la même chose que lorsqu'ils sont en débandade, ou en léthargie, comme en 1998. Là, à nouveau, et d'une manière fort différente se pose la question de traverser les frontières d'Etat. Un mouvement qui ne prend pas en compte le silence des pauvres est lui-même complice de ce silence. Vous nous demandez pourquoi nous n'avons pas parlé de ce mouvement, et vous avez raison de nous le demander. Mais avez-vous demandé aux acteurs de ce mouvement pourquoi ils n'ont pas parlé des albanais, chez qui le calme était encore suffisamment précaire pour qu'on organise, presque uniquement pour faire contre eux un coupe-feu, une guerre otanesque contre l'Etat yougoslave plus d'un an après Jussieu, et pourquoi ils n'ont pas essayé de les contacter, de les inviter ?

9. Pour ouvrir un débat sur le monde, le monde montre qu'il faut d'abord une perspective – qui peut être seulement de creuser sa propre colère, quand il y en a ; mais alors il faut creuser profond sans crainte d'y sombrer –, ensuite savoir dans quelle mesure on participe à l'histoire, enfin être capable de faire une théorie qui soit en même temps la théorie de ce mouvement, et la théorie du monde, c'est-à-dire de communiquer sa nouveauté. L'incapacité à formuler une perspective au bout de l'événement, et donc d'extraire la nouveauté de la répétition du même, a été la limite définitive de tous les mouvements évadés de la vieille conception révolutionnaire, situationnistes compris. Le mouvement des chômeurs semble être resté très en dessous de même affronter cette exigence.

 

Nous arrivons donc à la conclusion que ce mouvement n'a pas été un mouvement offensif, en accord même avec le texte que vous nous avez fait lire : « Ils se sont donc placés dans une optique strictement défensive, et ont construit autour de l'assemblée une muraille qui visait à l'isoler du monde extérieur – la police se contentant de faire le siège de cette forteresse et de réprimer les sorties les plus hardies. » Mais nous reconnaissons volontiers que cette défensive n'est pas celle que nous présupposions au début de notre échange, et qui procédait d'une superficialité, plus facile à comprendre qu'à excuser.

Nous sommes cependant intéressés par l'assemblée générale elle-même, puisque nous préconisons nous-mêmes une sorte d'assemblée générale mondiale, mais dont même la forme reste aujourd'hui complètement inimaginable. Nous avons cependant reconnu, dans l'expérience de Jussieu, un des multiples avant-coureurs que cet événement ne manquera pas de projeter devant lui, fort rudimentaire et insatisfaisant. Mais tout de même : c'est le premier du genre.

 

C'est à vous maintenant, nous semble-t-il, de dire ce que vous pensez du contenu du texte et de l'événement que vous nous avez fait partager. Si nous avons si peu parlé de l'assemblée générale, qui nous semble l'essentiel de cet événement, c'est parce que nous n'en savons rien : était-ce un « conseil » comme l'annonce Wolff sans l'étayer, y en a-t-il eu d'autres ailleurs qu'à Jussieu (on ne choisit pas toujours son habitat, mais tout de même !), quelle a été l'organisation des débats, quels ont été les ordres du jour, quelle a été l'étendue des prérogatives de l'assemblée, et comment ces prérogatives ont-elles été décidées et soutenues et amendées, quelle a été l'ambiance dans et autour, voilà les premières questions auxquelles nous vous serions maintenant reconnaissants de répondre.

 




XX à l'observatoire de téléologie (25-01-02)
Subject: merci
 

D'avoir pris autant de temps. Je crains que ma réponse ne soit pas du tout à la hauteur. Je vous la ferai, plus tard, en répondant plus à vos dernières questions qu'en commentant vos commentaires : je me sais "pas de taille" pour ça...
A plute...
XX

 




observatoire de téléologie à XX (03-02-02)
Subject: Wolff
 

Sans attendre plus longtemps la réponse que vous nous annonciez, nous avons pris contact avec Fabrice Wolff. Vous trouverez ci-joint une copie de notre envoi.

Pièce jointe : E-mail de l'OT à Wolff du 03 février 2002.

 




XX à l'observatoire de téléologie (03-02-02)
Subject: Re: Wolff
 

Désolé de la piètre qualité de ma correspondance...
Vous avez bien fait d'écrire à Fabrice Wolff. De mon côté, après avoir trouvé son texte pour vous donner un peu de documentation, j'ai essayé moi aussi d'écrire, pour retrouver des gens capables de s'ouvrir à cette ambiance de liberté. Pas de réponse (non plus de robot me répondant que la boîte est pleine à craquer, cela-dit)...
Sinon, je vous signale au passage qu'un certain Julius Van Daal fait référence au mouvement en préface d'un receuil de traductions de textes courts de Hakim Bey, "L'art du chaos, stratégie du plaisir subversif", chez Nautilus ("ème trimestre 2000).
Peut-être est-il joignable, je le connais pas... Ah, si, en faisant une recherche, c'est lauteur de "beau comme une prions qui brûle, chez L'esprit frappeur". Je l'ai lu, pfff, j'ai la mémoire qui flanche. Ca doit être un pseudo...
Voilà, bon courage dans la suite de vos recherches.
XX

 


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