B) Guerres d'Etat


 

5) Guerres d'Afrique australe

b) Conséquences de l'insurrection de Lisbonne au Mozambique

D'autres émeutes, moins bien centrées, mais antérieures à celles des villes d'Afrique du Sud, avaient déjà nécessité les premières contre-offensives, et l'inclusion des colonies portugaises affranchies dans la région spécialisée du racisme, sous forme de guerres civiles officielles.

Au Mozambique, en avril 1974, un Frelimo attaquait déjà partout tout ce qui était portugais ; le mois précédent, la décision d'envoyer 10 000 soldats supplémentaires aux 60 000 déjà harcelés dans cette lointaine colonie bordée par l'océan Indien fut vraisemblablement un des prétextes déterminant le putsch militaire du 25 avril en métropole. Samora Machel, le chef absolu du Frelimo, l'une des pires crapules d'un continent qui de Mengistu à Amin Dada s'en est pourtant montré prodigue, rejette l'idée du Colonel Spinola d'un referendum sur l'indépendance : "You can't ask a slave if he wants to be free, particularly if the slave happens to be in full revolt." Soit dit en passant, un esclave en pleine révolte n'est plus un esclave, comme le prouvent allègrement à Spinola et Machel les pauvres du Mozambique. Car si c'est des colonies que provient l'allumette du putch de Lisbonne, le grand incendie de l'insurrection portugaise les embrase alors en retour, directement, sans consulter ni les chefs portugais, ni les chefs mozambicains ; à Beira, à Lourenço Marques, comme à Lisbonne, les grèves éclatent soudain ; à Nampula, les paysans s'insurgent et incendient les plantations de coton, ailleurs ils occupent les terres ; et les soldats portugais se divisent entre ceux qui rejoignent les staliniens du Frelimo, et ceux qui désertent.

Face à cette épidémie de catastrophes, le nouveau gouvernement portugais essaye de se défausser du nain jaune. Le 5 septembre 1974 à Lusaka, Mario Soares offre à Machel responsabilité et gouvernement, bien convaincus tous deux qu'il ne faut en effet consulter personne d'autre, surtout pas ces Mozambicains qui sont en train de donner leur avis si librement. Comme Samora Jekyll Ebert accepte goulûment de recevoir le nouvel Etat des mains déjà sales du prince de Bade portugais, les derniers colons, rêvant encore d'hier, se réveillent brusquement à côté de leur lit en reconnaissant Machel Hyde Noske : le 7 septembre, la jeunesse dorée des exploiteurs portugais (au nombre de 500) envahit et ravage le centre de Lourenço Marques, et libère les agents de la PIDE emprisonnés. Jusqu'au 10, personne n'ose les contrer : "The uprising collapsed on September 10th when the white rebels agreed to hand over the radio station because of "serious troubles starting in the suburbs of the capital" Radio Free Mozambique broadcast said." L'insurrection des banlieues, pillage en main, menace même le nouveau chien de garde, le Frelimo. Le 13, son adversaire devenu son mentor, l'Etat portugais, se partage la répression avec cette guérilla : chacun matera les "siens", le MFA le centre-ville, qui à vrai dire est pacifié, et le Frelimo les banlieues. Le soir du 13 on annonce 60 morts. Je ne vois pas pourquoi le Frelimo, qui se savait dans l'immunité militaire et publicitaire, aurait avoué plus que l'étendue indissimulable du carnage des banlieues, d'autant plus que l'après-midi, un nombre officiel bien supérieur aurait d'abord filtré. Le 20 septembre, Machel insiste : "At this stage of the life of our country, there is no more room for strikes." Deux nouvelles émeutes en octobre dans la capitale sont chiffrées respectivement à 41 et 44 morts. Coupés prématurément de ceux de Lisbonne, battus et saignés dans un silence complice entre les dictateurs d'hier et de demain, les gueux du Mozambique désoleront pourtant encore longtemps la tranquillité de leurs ennemis.

L'accord de Lusaka prévoit un gouvernement transitoire jusqu'en mai 1975. Machel, désigné président pour après l'indépendance, reste hors du pays pendant cette période. 280 000 Portugais s'en vont. Les nationalisations excluent toute participation ouvrière ; des administrateurs sont nommés à la tête des entreprises. Le 25 juin 1975, l'indépendance est proclamée. En février 1976, la capitale Lourenço Marques est débaptisée en Maputo. Parallèlement se poursuit la contre-offensive pour anéantir la contagion de l'insurrection portugaise au Mozambique : "Though Frelimo was successfull, by and large, in halting the massive strike-wave that swept Mozambique after the April 1974 Lisbon coup ...", "On September 25, 1975, Machel complained that in a bid to hinder the realisation of the people's aspirations, the enemy resorted to disorganising production by instigating disinterest in the work and, when possible, even by paralysing work through counter-revolutionary strikes." Deux semaines après la formation de la néo-PIDE, la SNASP, les 30 et 31 octobre 1975, 3 000 personnes sont arrêtées, dont la plupart sont envoyées dans les Centros de Descolonizaçao Mental, pour "ré-éducation". L'armée (FPLM) murmure qu'elle n'a pas eu sa part de butin. Machel sermonne les soldats, exigeant qu'ils étudient 12 heures par semaine le programme du parti et s'engagent dans des séances d'auto-critique : descolonizaçao mental volontaire. Après ce meeting, le 13 décembre, plusieurs centaines de soldats sont arrêtés : descolonizaçao mental forcée. Le 17 décembre, trois semaines après Tancos, 400 mutins marchent, soi-disant, sur Maputo, et sont battus le lendemain par les loyalistes. Les premières purges commencent. Apparaissent les grupos dinamizadores, dirigés par des chefs nommés par le parti pour fliquer, idéologiser, moucharder jusque dans les circulos (cellules) du parti. Mais la résistance est tenace. Le 13 octobre 1976, au lieu de se réjouir que la jonction entre les banlieues de Maputo et de Johannesburg n'a pas eu lieu, Machel a encore de quoi se plaindre : "There are workers who are still trying to resolve their problems in the way that they learned at the time of the provisional government, at the time of the so-called workers' commissions. These workers are staging silent strikes. They are deliberately causing a fall in production" : les camps de concentration de Inhassune et Dondo reçoivent de nouveaux pensionnaires.

Le Mozambique de Machel, encore plus inique, arbitraire, féroce et borné que la Roumanie de Ceaucescu, est encore plus apprécié par toutes sortes d'Etats, que ce favori des pays de l'Est dont la liberté et l'indépendance sont si absurdement vantées. Appréciez l'universalité idéologique des Etats qui se prévalent d'aider officiellement ce camp africain de décervelage orwellien : URSS, USA, Chine, Royaume-Uni, Cuba, Corée du Nord et surtout Etats scandinaves, qui font là l'essentiel de leurs bonnes oeuvres, comme des vieilles puritaines anglaises d'il y a cent ans, aveuglées de fatuité et de morale.

De longues années de guérilla ont appris au Frelimo les règles du jeu en Afrique australe : la guérilla lèche les bottes, l'Etat ami lui donne la cravache. Ainsi, fier d'être enfin pair de ses aînés Kaunda et Nyerere, dont il a tant subi et qu'il a tant léchés, Machel, qui aime bien châtier bien, cravache-t-il, sans ménagement, la ZANU zimbabwéenne dont il était pair hier. Ainsi, ce régime, qu'on dit pro-chinois pour dire d'extrême-gauche, et qui est en effet stalinien extrémiste, est-il sincèrement fâché de devoir se conformer à une résolution de l'ONU qui l'oblige à fermer sa frontière au si lucratif transit des marchandises de l'Etat d'extrême-droite de Rhodésie, vers son port de Beira. Mais c'est avec l'Afrique du Sud qu'il entretient les meilleurs rapports de voisinage. Là, Machel ne se lasse pas de lécher les Botha. L'Afrique du Sud entretient au Mozambique une guérilla de droite, merci, cela justifie que le Mozambique se transforme en caserne, cela justifie toutes les descolonizaçaos mentales, cela justifie toutes les aides scandinaves. L'Afrique du Sud remplace partiellement la chute des exportations rhodésiennes du port de Beira, en augmentant ses exportations par le port de Maputo, Machel touche sa commission. L'Afrique du Sud construit un barrage au Mozambique qui lui en vend toute l'électricité, Machel touche sa commission. Enfin, l'Afrique du Sud fait travailler dans ses mines jusqu'à 100 000 esclaves mozambicains, Machel, Tamango moderne, touche sa part d'aide d'apartheid.

En août 1977, après les purges du parti de 75, 76, mars et juillet 77, Dos Santos, le bras droit de Samora Machette, demandera à sa police de poursuivre ses patrouilles dans les zones ennemies : "The grupos dinamizadores will remain. They are the mass organisations in the suburbs."


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