A) Escarmouches


 

5) Atananarivo, Madagascar

En 1972, l'île de Madagascar connut l'avertissement des temps que voilà. Les observateurs ennemis en firent un "mai malgache", voulant marquer par là que Madagascar sous-développé n'avait plus que 4 ans de retard sur son ancienne métropole, ce qui, d'ailleurs, confère une supériorité évidente à ces observateurs sur ce sanglant hoquet atananarivien, conséquence aussi logique que digestive du Coca-Cola parisien. Mais il y eut plusieurs dizaines de morts qui ne purent être camouflés en accidents de la route, comme à Paris ; et le président, Philibert Tsiranana, qui n'était pas De Gaulle, mais social-démocrate, chuta ; et l'armée, qui n'était pas à Baden-Baden, prit sa place, en même temps qu'un marxisme-léninisme, qui n'était pas de Geismar ou de Krivine, mais qui, comme une annonce codée au bridge, est une annonce de la couleur du fournisseur d'armes ; enfin, le mois de mai à Madagascar, n'est pas au printemps, mais à l'automne.

Le 3 mai 1978, commence une grève scolaire pour protester contre un système d'examens favorisant un niveau trop bas (eh oui !) du baccalauréat, et plus bas en province que dans la capitale. Dans la capitale, élèves et non-élèves manifestent le 29 mai. "The demonstrations degenerated into violent clashes, between the forces of law and order and the groups of young people who were variously described as "vandals" and "uncontroled elements" by the authorities" : 2 morts au moins. Merci au passage à l'African Research Bulletin pour ce jeu de mots d'autant plus drôle que reflétant fidèlement l'affolement du gouvernement malgache, qui paraît, avec toute la chaleur du moment, absolument involontaire : "Police were said to have opened fire and police headquarters to have been burned down." Le soir même, le gouvernement décrète le couvre-feu.

Le 30 mai, le Conseil Militaire Suprême, qu'en marxiste-léniniste on appelle Conseil Suprême de la Révolution, et qui dissimule par sa collectivité, réunie depuis la veille, les genoux flageolants de l'Obasanjo local, le président Didier Ratsiraka, décide d'envoyer l'armée. Après tout, Marx ne l'interdit nulle part et Lénine le conseille souvent. "The government decided to call the army on the 30th after it became clear that the unrest showed no sign of dying down. Crowds of youths rampaged around the city center looting stores and no attempt was made to stop them. Instead huge crowds gathered as groups of youngsters smashed their way through barred shop-windows, helped themselves to the content and then set the buildings alight." C'est mai, le mal gâche ses biens, c'est bien, les Malgaches s'aimaient. D'ailleurs, le mal gâche les temps et le Malgache l'étend. "But their involvement became necessary when it was apparent that the police could not possibly control the situation." Cette phrase justifie évidemment l'intervention des soldats, pas celle des émeutiers. Le soir de ce mardi 30 le centre-ville est bouclé, c'est-à-dire que l'information publique est exclue du champ de bataille. A partir de ce moment, il devient difficile de dresser une chronologie, ou même un bilan des dégâts, quand les deux partis se battent en silence, l'un résolu aux dernières extrémités pour faire cesser les premières, l'autre léger et insaisissable, que le dernier communiqué avant le black-out déleste des apprentis récupérateurs effrayés : "Les responsables présumés des désordres sont des jeunes gens de quinze à vingt-cinq ans appartenant aux couches les plus démunies de la population. Les étudiants, initialement suspectés d'avoir été à l'origine des troubles ont annoncé qu'ils se retiraient des manifestations "celles-ci ayant été détournées par un mouvement incontrôlable aux objectifs inavouables" apprend-on de source informée."

Puisque "le calme est revenu grâce aux efforts conjugués des autorités et de la population" et que les forces de l'ordre "n'ont utilisé aucune arme à feu", il faut donc conclure que c'est par la persuasion, son arme naturelle, que l'armée a pacifié le centre d'Atananarivo interdit aux témoins, et que les 2 morts du 29 étaient en fait des accidentés de la route, dont la police de Madagascar manquait encore tant en 1972. Ces pacifiques forces armées restent massées autour du palais présidentiel, où on a encore chaud aux fesses (saloperie de mai malgache !) pendant que les rideaux de fer continuent à ravir aux regards la tranquillité retrouvée des commerçants de la capitale. Radio Madagascar nous rappelle comment une émeute moderne fait joliment affabuler les staliniens de circonstance : elle se situe en effet "dans un contexte global de déstabilisation des régimes progressistes, installés dans certains pays du Tiers monde". Mais cette thèse de la machination entre en contradiction avec l'identité première des émeutiers "tour à tour appelés "vandales" ou "éléments incontrôlés" par les responsables malgaches". Supposer que de simples vandales, des éléments incontrôlés, donc contrôlés par personne, puissent ourdir cet immense complot contre plusieurs Etats, relève soit d'une bien étrange apologie du vandalisme, soit, plus probablement, de la caractéristique incohérence immédiate du débit idéologique, lorsqu'il est accéléré par une très grande peur. Ce n'est que le 4 juin que le Premier ministre, le colonel Rakotoaritoana ose sortir de son trou à rats pour tenir, au stade national, un meeting pour "l'union nationale" et contre les "valets de l'impérialisme"(sic) ; le même jour, on arrête des "mercenaires présumés" qui avaient tenté de se faire passer pour citoyens bulgares (resic) donc des méchants qui avaient tenté de se faire passer pour bons ; le 7 juin, enfin, 90% des élèves et la majorité des professeurs sont retournés au travail, information censée détourner l'attention de tout de même 10% d'absents, sans parler de ces émeutiers dont s'étaient désolidarisés les étudiants au moment de la bataille, et qui ne sont donc probablement pas scolarisés.

Mais dépassons cette triste inquiétude par une heureuse nouvelle qui est un symbole joyeux : Philibert Tsiranana, démis à la suite du mai de 1972, est mort, le 16 avril 1978, à la veille de mai de 1978, où moururent son monde et son temps, sur l'île de mad, mad, Madagascar.


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