A) Escarmouches


 

12) La Paz, Bolivie

Lorsque, comme cela arrive parfois, des militaires font l'aumône du "pouvoir" aux partis démocratiques civils, il n'y a jamais de quoi se réjouir. C'est que les chefs de l'armée n'estiment plus leur présence nécessaire pour que la tête de l'Etat pense comme eux. C'est qu'ils peuvent se permettre d'échanger la tranquillité des casernes et de leurs affaires particulières avec les tracas des affaires publiques. Tant qu'elle ne craint aucune vengeance, une dictature militaire qui abdique, n'abdique pas. Au lieu de porter elle-même le collier, elle le fait porter à son chien : les civils du gouvernement auront plus peur de l'armée dans leur dos, qu'en face d'eux. Et les démocraties occidentales, autant pour la Bolivie que pour le Nigéria, veulent bien compter parmi les leurs des dictatures militaires, pourvu qu'elles revêtent ce genre de feuille de vigne démocratique ; d'autant que jeux télévisés, tournois oratoires, diversions idéologiques paralyseront pendant les longs mois de transition le remuant public de ces Etats.

Le 1er juillet 1979 eurent lieu les élections présidentielles boliviennes : la bouse de gauche, Paz Estenssoro eut une courte avance sur la bouse de droite Siles Zuazo, à moins que ce ne soit l'inverse. C'était maintenant au Congrès de trancher. Il ne parvint pas à se mettre d'accord sur l'un des deux candidats. Guevara Arce, non candidat au scrutin universel, fut nommé président par intérim, le 1er août. Pour soutenir la bouse de gauche, la Confédération Ouvrière Bolivienne avait appelé à une grève de 24 heures ce jour-là.

"One person was killed and about twenty others injured, two of them by gunshots, during political rioting here tonight, police said. Rioters set fire to police vehicles and tried to loot shops, the police said." Le 3, l'armée repose ses pantoufles toutes neuves, en soupirant par la voix du général Victor Ensillo : "We don't want to stay but if the armed forces have to remain to prevent anarchy we are prepared to do so." "The general strike, also largely effective in halting business activity because buses and taxis stopped running, was free of violence, except for attacks by small groups of vandals on police posts and a dynamite explosion near the national television station in which a man was killed. By bolivian standarts, these incidents were minor." A combien de morts s'élève le "standart" bolivien ? Les boliviens sont un peu sauvages d'ordinaire, et ne connaissent pas de mesures quand ils s'entretuent. Comment un pauvre d'Amérique du Nord, face à une information aussi insultante, peut-il soupçonner l'identité d'intérêt, le courage et l'extrémisme moderne de ses contemporains de Bolivie ?

D'autant plus que cette attitude de la presse, qui n'oscille qu'entre la consternation et le soulagement selon le nombre de morts annoncé par la police, semble enfin s'être étendue jusqu'à la presse locale : "Things have changed in this country said Mariano Batista, a newspaper editor. It used to be that one shot and every one was out in the streets. Now people value order a lot more." Ce Batista parle comme un général bolivien qui voudrait justifier l'abdication de l'armée par l'éducation qu'elle a réussi à donner au "people". Mais Batista oublie peut-être que les chefs de la COB, qui eux réellement "value order a lot more", se sont peut-être autant modernisés dans la prudence que lui dans son dédain affecté de la rue, en ayant organisé, comme tous les syndicats, une grève de 24 heures pour épuiser une base dont ils craignent un éventuel débordement ; que cette base n'a été ainsi appelée dans la rue que pour une petite affaire politique qui n'intéresse en réalité que les Batista, les journalistes occidentaux, les bouses de droite et de gauche, les chefs militaires et leurs pantoufles ; et que même pour si peu, les gueux de La Paz, si étroitement encadrés, ont débordé, pillé, attaqué l'ordre en sa police même, trahissant par là que c'est toujours avec eux seuls que doivent compter les valets de Bolivie, qui par la voix de Batista peuvent se féliciter que pour cette fois, ils n'ont pas été pires que craints.

Le 6 août, le Congrès confirme Guevara Arce président dans l'indifférence générale : "The public is taking the crisis with calm." Les généraux boliviens, Guevara Arce et Mariano Batista ont raison de ne pas s'y fier.


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