B) Du 17 février au 3 novembre 1979


 

7) Organisations ennemies

c) Gouvernement

Le gouvernement, nommé lui aussi par Khomeyni avant la chute de Bakhtiyâr, était provisoire et responsable devant le seul Khomeyni puisque l'Assemblée (le Majles) était dissoute. Ce gouvernement manchot et sénile n'avait plus de bras pour frapper, plus de vigueur pour restaurer les ruines importantes d'une bureaucratie non moins importante et son seul attrait consistait dans la convoitise des arrivistes, qui, lorsqu'ils voient un Etat avec un pied dans la tombe, soupèsent déjà leur part d'héritage respectif. Le gouvernement Bâzargân, résolument libéral, laïc, bourgeois, était tout à fait sympathique à tous les autres gouvernements. Son seul objectif fut de reconstruire l'Etat. Malheureusement pour lui, comités et conseils ne crurent lui devoir obéir en rien et à aucun titre. Sahâbi, qui avait été nommé chef des comités de grève par Khomeyni dans une tentative aussi autoritaire que vaine de contrôler la grande grève, fut dès le 20 février nommé ministre des "affaires révolutionnaires" ; comme s'il y avait alors

d'autres affaires ! Aussi impuissant contre les conseils que contre la vengeance, ce gouvernement les dissolvait par la force, là où il en avait, c'est-à-dire presque nulle part. Il faut dire que gauchistes et islamistes critiquaient et gênaient de plus en plus ce gouvernement, persuadés qu'il fallait récupérer et infiltrer les organisations de base, pour reconstruire sur ces acquis qui paraissaient imprenables aux pauvres, un Etat plus solide que ce remake de Mosaddeq avec vingt cinq ans - et quels vingt cinq ans ! - de retard. Aussi le gouvernement, au lieu de se réapproprier toute l'organisation civile à la base, dut se cantonner, pour défendre l'idée même de l'Etat qui était en péril, non seulement contre ses vrais agresseurs, les pauvres modernes, qui étaient tabou, mais encore contre ses concurrents islamiques et gauchistes, qui pour s'introduire parmi les gueux critiquaient violemment ce gouvernement, et surtout son idéologie. Bâzargân s'en plaignit amèrement. Mais ses démissions, vues comme des caprices, furent refusées. Lui-même ne put retenir ses ministres qui tombaient par plaques, comme un vieux membre rongé par la syphilis.

Pourtant, comme il n'était nullement question d'une république des conseils, ou de l'abolition de toute légalité, il fallut bien, par respectabilité légaliste, abolir officiellement l'Empire et donner une légitimité au gouvernement provisoire. Le référendum sur l'abolition de l'ancien régime eut pour prologue, la première et peut-être la plus exemplaire dispute spectaculaire de ce nouveau régime, divisé pour régner : au lieu de leur demander s'ils voulaient ou non l'abolition, on demanda aux moutons que par courtoisie exagérée on appelle électeurs, s'ils voulaient ou non une "République Islamique". Ce sont les gueux, ce sont les conseils, ce sont les comités, qui auraient du rugir d'une pareille insolence, mais non, ce furent la gauche et les laïcs, dont les membres du gouvernement qui devint ainsi islamique, qui protestèrent contre cette formulation, proposant le non moins sinistre "République Démocratique". Parce qu'il y eut deux camps, au lieu d'en rire, les gueux se turent dans cette question sur l'organisation de la société, et dans un silence complaisant suivirent la balle à droite puis à gauche du filet, chacun priant pour son favori. L'arbitre de chaise, Khomeyni, penchait nettement d'un côté : les 30 et 31 mars, 98 % des votants mirent un petit bulletin vert (comme l'Islam) dans les urnes, alors que les 2 % qui y déposèrent un petit bulletin rouge (comme le drapeau du même nom) furent amalgamés aux nostalgiques des Pahlavi. Les opposants à l'"Islamique" avaient demandé l'abstention. Ce petit scandale légaliste, qui fonda tous ceux qui suivirent, fut vite oublié.

Enfin, comme l'exige la tradition moderne des Etats, il fallut donner à cette République Islamique une "Constitution". Mais pour en déterminer, et l'importance dans l'Etat et la composition, on pensa recourir à une Assemblée constituante, toujours selon la même tradition. Le 3 août eut donc lieu l'élection à l'Assemblée des Experts ("constituante" ne sonnait pas assez islamique) que boycottèrent les partis électoralistes par excellence, les libéraux et la gauche, estimant le terrain truqué d'avance, et sachant certainement sur un sujet si sensible pour eux, ce que truqué veut dire. L'écrasante majorité des "experts" est donc constituée de théologiens et de prêtres. L'opposition s'y targuera d'y avoir mis Qâsemlu, chef du PDKI kurde, Rajavi, chef des mojahedines, Javâdi, pouêt libéral, et l'âyatollâh Tâleqâni, très populaire à Téhéran. Cette Assemblée a pour seule tâche d'établir un Etat moderne, sous la prééminence d'un Emâm, et d'entériner le principe du Velâyat-e Faqih. Jamais, jusqu'à livraison, elle n'osa s'occuper même de murmurer contre la commande qui lui avait été faite. Et il n'est pas exagéré de dire qu'aucune organisation en Iran n'avait, depuis la chute du Shâh, autant oeuvré pour réintroduire par l'exemple, la servilité dans les affaires publiques.


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