B) Guerres d'Etat


 

8) Guerre du Yemen

"Mr Salem Rubayya Ali, head of State and Chairman of the Presidential Council of the People's Democratic Republic of Yemen (South Yemen) and deputy secretary-general of the ruling National Front, was on June 26 ousted from power and executed by adversaries within the Front after several hours of fighting within the capital Aden."

"The President of the Yemen Arab Republic (North Yemen), Lieut-Col. Ahmed Hussein el Ghasmi was killed on June 24 when a bomb exploded in his presidential office in the capital Sana'a. The bomb has apparently been carried by a "special emissary" of the then President of the People's Democratic Republic of Yemen (South Yemen). Mr Salem Rubayya Ali, and the emissary himself also died in the explosion".

De sérieuses critiques auraient raison de souligner que les crêpages de chignon des Etats du Yemen ne méritent pas d'entrer dans l'histoire aussi facilement que les Yemens dans l'étatisation du monde. Je leur ferais remarquer, cependant, que ce télescopage est drôle. C'est une farce, issue de l'absurde, que nos ennemis poussent parfois au-delà du point de rupture. Et quand un sérieux extrême implose parfois dans la risée, le phénomène mérite d'être rapporté, pour le plaisir sans lequel il n'y aurait pas d'histoire ; et pour ce que révèle ce gris soudain changé en humour noir.

Qu'il y ait un Etat au Yemen paraît déjà trop. Mais il y en a deux. Les tribus du nord étaient guidées par les Imams de Zaydi, une sous-secte shi'ite, entre la fin de l'Empire ottoman et 1962, date d'un putsch d'officiers nassériens qui proclament la République, inaugurée par huit ans de guerre contre les tribus et plusieurs autres putschs ; au milieu desquels une première guerre contre le Sud en 1972. Au sud, ancienne colonie britannique, un FLN acquit l'indépendance en 1967. Ce FLN, évidemment marxiste, est une pépinière d'arrivistes, s'alliant et se disputant sans fin, et où tout objet de débat est aplati en moyen d'arriver. Car l'Etat, créé ex nihilo, apparaît d'abord comme une sorte d'eldorado au milieu d'un ring de boxe, parfaitement délimité, exagérément illuminé. Aussi, le Nord et le Sud, comme un petit monstre à deux têtes, se tiennent empoignés par les cheveux et se crachent au visage : car l'autre Etat peut toujours devenir un moyen pour la voracité de chaque faction. Que les progrès de l'étatisation (les frontières des Yemens, au désert, ne sont pas encore fixées tout à fait) permettent déjà les plus rapaces gourmandises domestiques sous les plus fades modes idéologiques et de part et d'autre d'un mur de Berlin au fin fond du retard, renseigne magistralement, je trouve, sur les impérieuses et violentes transformations qui secouent le monde sous son masque d'immobilité apparente.

Ce serait s'abaisser à des questions de personnes, puis s'égarer dans les procédures policières, les procès d'intention, et une longue et stérile instruction d'analyser le double meurtre en 48h des deux chefs d'Etat yéménites, en juin 1978. C'est la loi des gangs ; mais dans le cadre institutionnel des Etats. Comme chacun des Yemens accueille les bannis de l'autre et soutient chez le voisin dissidents et guérillas, leur frontière commune ne semble être faite que pour osciller sous les violations. La paix y est plus étonnante que la guerre. Le 24 février 1979, donc, le Sud envahit le Nord, plus tiré par que poussant devant soi un mouvement de libération d'exilés du Nord. Chacune des deux moitiés du Yemen prétend être envahie. Mais même la Ligue Arabe, réunie à Koweit, semble ne pas pouvoir arrêter l'avance de l'armée sudiste (aguerrie au volontariat idéologique et au mercenariat dans la campagne d'Ogaden), si bien qu'il paraît justifié de se demander si elle-même est maîtresse de son propre déferlement. Car cette poussée, qui arrange tant de factieux du Nord et du Sud, n'était de toute évidence pas préméditée. Finalement, le 16 mars, les combats cessent. Le Sud parvient à imposer quelques modifications dans le gouvernement du Nord, et comme en 1972, un accord est signé pour l'unification qui n'aura jamais lieu. L'armée yéménite du Sud se retire dans ses troubles internes, laissant celle du Nord dans ses règlements de compte privés.

Dans la rubrique des catastrophes des néo-Etats, celles des Yemens constituent une bouffonne anecdote. Les tiers-mondistes, et probablement les Yéménites pour qui elle était une tragédie, s'indigneront de la voir traiter comme une blague, et avec condescendance. L'attitude des principaux Etats en cette circonstance ne fut pourtant guère plus sérieuse : les USA avaient promis d'armer copieusement le Nord tant que la guerre dura, chicanant et éludant cette promesse dès qu'elle fut interrompue ; ce Yemen-là se tourna donc vers l'URSS, qui sans hésiter le fournit massivement, malgré les plus indignées protestations de son allié du Sud, et de l'Arabie Saoudite, patron (500 000 Yéménites y travaillent) et protecteur impuissant du Nord.

Que les Yéménites eux-mêmes se moquent un peu de leurs guerres d'Etat, de leurs hommes d'Etat, et des crétins tiers-mondistes ! Qu'ils cessent de se saper en fins de série idéologiques de ce monde, s'ils veulent y être pris au sérieux ! En attendant, ces bourdes sanglantes de leurs dirigeants sont comme les plus lourdes galéjades paysannes : plus elles sont féroces, plus elles font mal aux côtes.


Editions Belles Emotions
Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979, par Adreba Solneman Précédent   Table des    matières   Suivant