A) Du 10 janvier 1978 à fin septembre 1978


 

8) Prise d'otage de l'attention (22 août 1978)

Le 22 août 1978, en plein jour, 25 guerilleros sandinistes déguisés en gardes nationaux pénètrent dans le Palais National de Managua et font d'un coup mille otages. Ils en retiennent 70, dont le cousin de Somoza et le ministre de l'Intérieur, et après deux journées de conciliabules présidés par l'Archevêque de Managua, les revendent contre 59 prisonniers sandinistes, 5 millions de dollars, un communiqué à la radio et des sauf-conduits pour l'étranger. 45 heures après le début de l'opération, ils s'envolent vers Panamá à bord de deux appareils mis à leur disposition par les gouvernements de Panamá et de Venezuela. Sur la même route de l'aéroport, la même foule qui avait applaudi le Groupe des Douze le 5 juillet, applaudit alors le départ du commando, pour la même raison : on applaudit alors tout ce qui défie l'autorité.

Le premier objectif du FSLN est de doubler les autres valets d'opposition, de refaire son retard de notoriété auprès des valets du monde entier. L'annonce, le 21, d'une nouvelle grève générale décidée par son principal concurrent, le FAO, a précipité cette prise d'otages préparée depuis début juillet par le FSLN. Rien n'impressionne plus et plus favorablement les informateurs du monde entier qu'un spectacle simple, dont les règles sont connues, dont tous les acteurs sont bien visibles et qui conserve une unité de temps et de lieu classiques, c'est-à-dire qui respecte les journaux télévisés et les contraintes de la presse quotidienne, contrairement à une grève générale dont on ne peut pas prévoir la fin, ou à une émeute spontanée dont on ne peut pas prévoir le lieu, qu'il est, de plus, dangereux d'approcher. Alors que ce théâtre de guignol, avec son dictateur furieux et impuissant dans son bel uniforme, son médiateur Archevêque dans sa belle soutane, et son Edén Pastora, alias commandant zéro, chef du commando dans son sobre treillis (il n'en faut pas davantage pour devenir du jour au lendemain star internationale de l'espièglerie guérilleureuse), autorise même d'applaudir discrètement l'illégalité d'une prise d'otages, où il y eut en plus quelques oeufs cassés, c'est-à-dire 6 morts. De minables et arriérés fossiles léninistes, les sandinistes, de ce seul coup, se sont promus en pourvoyeurs de faits divers exceptionnels, j'allais dire, s'ils n'avaient pas continué à se prendre si lourdement au sérieux, en amuseurs de foules. Metteurs en scène bien plus sensationnels que leurs concurrents, les sandinistes jouent le rôle le plus sympathique de la farce : au FAO, il ne reste plus que celui du cocu rougissant, du sergent García, qui entonne après le départ des guéris-héros, en choeur avec les spectateurs-informateurs ravis, le premier couplet de "Zéro est arrivé... sans se presser".

Le FSLN a clairement prouvé à tous ceux qui gèrent le Nicaragua, en particulier au gouvernement des Etats-Unis, qu'il est capable d'usurper la direction d'un mouvement dangereux, de lui apposer impunément son logo ; qu'il est capable en outre de transformer une révolte en cirque par quelque saut périlleux culotté, par quelque mystification fascinante, et d'une manière générale, qu'il contrôle beaucoup mieux les techniques du spectacle moderne que n'importe lequel de ses concurrents. Le paradoxe du FSLN est que, dans la théorie et l'organisation où il continue d'arborer sa désuète panoplie latino-stalinienne, il compte un demi-siècle de retard sur le monde, alors que dans sa maîtrise opportuniste du bluff et dans les affirmations égocentriques de son importance, ses techniques de récupération, il est réellement une avant-garde dans le monde, une avant-garde de toutes les polices. Car même les abjectes rêveries léninistes, maoïstes et guévaristes des sandinistes revêtent maintenant, dans la tendresse dont les caresse l'information dominante, un sympathique charme rétro, tandis que leurs actes sont ceux de jeunes cadres déterminés, travaillant avec beaucoup de pragmatisme et peu de scrupules, à leur carrière.

Auprès des gueux du Nicaragua, les sandinistes ont renforcé leur image mythique de justiciers qui prennent aux riches pour donner aux pauvres, comme les joyeux lurons de Robin des Bois, de Davids malins qui gagnent à tous les coups contre des Goliaths idiots, de grands frères armés et mystérieusement dérobés aux regards, mais qui descendent subitement des montagnes pour défendre leurs petits frères muchachos, et qui bafouent avec aisance l'autorité contre laquelle il est si dur de tenir la rue. Mais les plus lucides n'ont pas partagé l'enthousiasme, ni même la sympathie des plus nombreux. Depuis Monimbó a commencé une guerre où l'on ne fait plus de prisonniers. Car il n'y a aucune loi qui permette à aucun Etat du monde de garder en prison des enfants entre 10 et 14 ans, âge de l'écrasante majorité des émeutiers du Nicaragua. Il est facile de comprendre quel aveu impossible, au Nicaragua et dans le monde entier, entraînerait un changement de la législation en ce sens. Aussi n'existe-t-il pour cet Etat que deux solutions : soit relâcher ces enfants aussitôt en étant sûr de les retrouver à la tête de l'émeute le lendemain, soit les tuer. C'est pourquoi, au Nicaragua, l'Etat ne fait plus de prisonniers. Quant aux enfants, ce serait bien leur manquer de leur supposer moins de cruauté qu'à leurs ennemis et suffisamment de mesquinerie pour construire des prisons pour gardes nationaux, prisons qu'ils seraient bien incapables de garder : de ce côté-là donc, pas de prisonniers non plus. C'est pourquoi, par rapport à la guerre en cours, et non pas par principe moral, une prise d'otages est une trahison, une manoeuvre ennemie, une diversion. Les seuls prisonniers ou otages possibles peuvent se faire entre adultes, entre valets. L'évidence permet d'affirmer que si les muchachos de Monimbó et non un commando de valets sandinistes avaient investi le Palais National, si par conséquent les gueux préméditaient des coups spectaculaires, ce qui est en contradiction autant avec leurs moyens qu'avec leurs buts, ils auraient fait là un grand carnage plutôt qu'un seul otage ; de même, la plupart des valets sandinistes libérés en échange, dont l'infâme Tomás Borge, méritent d'être traités en ennemis mortels. Ils savent donc, ceux qui savent discerner une esbroufe de marketing, que cette prise d'otages n'a que donné à des mercenaires qui veulent s'emparer de l'Etat ce qu'elle a pris à d'autres mercenaires qui tiennent encore l'Etat.


Editions Belles Emotions
Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979, par Adreba Solneman Précédent   Table des    matières   Suivant