A) Du 10 janvier 1978 à fin septembre 1978


 

4) La grève générale (du 23 janvier à début février 1978)

Cette fois-ci, la grève générale déborde Managua : les noms inconnus de Rivas, Masaya, León, Chinandega, Esteli et Matagalpa entrent dans l'histoire. Usines, bureaux, commerces, tout le secteur privé s'arrête dès le 26 ; après cinq longues journées, le 31, le secteur public est paralysé à son tour, tout au moins à Managua. Les grèves se transforment en combats dans les usines, les manifestations en combats dans les rues. Des bribes d'information signalent, pêle-mêle, l'envoi de renforts à León fin janvier, 6 morts entre grévistes et Garde Nationale le 1er février, une mise au pas isolée, le 2 février, celle d'ESSO, unique raffinerie du pays. Partout des marchandises brûlent : à la ville, les automobiles en feu font d'excellentes barricades et les entrepôts où reposent les nouvelles récoltes, de très jolis feux d'artifice ; à la campagne, des champs de canne à sucre se transforment en caramel.

Dès le 28, Somoza a décrété l'Etat d'Urgence. Les radios locales, seul canal d'information des grévistes (je n'ai pas connaissance que la presse internationale y ait puisé), malgré la censure, continuent d'émettre à partir des églises. Somoza, voulant faire preuve de sang-froid et de doigté, maintient des élections municipales en province le 5 février. Le calme de ce dimanche ressemble plutôt à une veillée d'armes qu'au terme d'une campagne électorale. L'électorat, par 80 % d'abstentions, désavoue la diversion. L'UDEL, profitant de cette journée de trêve inespérée, appelle à reprendre le travail dès le lendemain 6, avouant modestement être débordée. Ces chefs de réserve du Nicaragua, dont le grief est que la part du gâteau de Somoza est trop grande par rapport à la leur, ne déplorent pas moins que lui une grève qui depuis deux semaines déjà les ruine aussi. De plus, si l'insurrection triomphe, ils risquent d'être pendus, et si c'est Somoza, d'être fusillés. Le 23 janvier, en réclamant la "lumière" sur l'assassinat de Chamorro, le 25, en allant jusqu'à réclamer, ô bien fermement, la démission de Somoza, ils se faisaient l'écho plaintif de la rue ; une journée de calme précaire leur suffit maintenant pour se faire l'écho plaintif du dictateur. C'est qu'au-delà de ce despote, l'Etat, dont ils sont comme lui les serviles défenseurs, se trouve menacé.

Seules les centrales ouvrières qui font partie de l'UDEL, plus soumises à leur base, rechignent à la reprise du travail, qui pourtant s'étale sur la semaine, dans la frustration et le courroux qu'on devine. Quelques affrontements isolés et quelques attentats contre des bâtiments publics ponctuent comme des rots cette fiesta de la colère. Ces manifestations d'arrière-garde non signées sont toutes attribuées à l'authentique arrière-garde isolée du Nicaragua (qui, dérision, s'appelle elle-même avant-garde), le FSLN. Ces indécrottables guerilleros sont les derniers à être entrés en mouvement, plus d'une semaine après le début de la grève ; et ils l'ont fait tellement hors de contexte et tellement loin des lieux où l'insurrection avait lieu, que les deux ou trois petits coups de main de commandos sur des casernes (Rio Blanco 31 janvier ; Rivas et Granada 2 février) à laquelle se résume leur action, furent des dissonances, des diversions inopportunes, plus favorables à l'ennemi qu'aux gueux. Donc attribuer nos rots tardifs à cette seule arrière-garde contribue à séparer ces hoquets d'un mouvement qui visiblement hoquète encore, et à faire du FSLN, dont les actions et les déplacements, pour les grévistes, n'étaient observables qu'à la jumelle, le groupe qui se sera battu le dernier, sous-entendu jusqu'au bout, et qui, dernier à s'être fait entendre, restera dans les mémoires.


Editions Belles Emotions
Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979, par Adreba Solneman Précédent   Table des    matières   Suivant