C) Les frontières de l'Iran


 

4) Frontière orientale

b) Pakistan

L'Etat voisin apparemment le plus accessible à la grande marée montante iranienne, s'est trouvé dans un mouvement de reflux, paradoxe qui souligne la puissance des frontières contre l'impuissance des gueux à se fédérer. En mars 1978, après la condamnation à mort de Bhutto, l'Etat pakistanais apparaissait comme ayant différé sa ruine, qu'une minuscule étincelle aurait consommée dans une série d'explosions dont toute l'année 1977 n'aurait été que la meurtrière aspiration. Comment les grandes flammes iraniennes, si proches au-delà du Baloutchistan, n'ont-elles pas même réchauffé un mouvement si ressemblant par sa générosité, sa fougue et sa ténacité, qui était encore incandescent ? La première raison est l'humeur si brusque des révoltes, qui dans un monde en trompe-l'oeil, se jouent des dispositifs, des mécanismes et des sciences positives, avec la liberté majestueuse du caprice. Les plus furieux, soudain électrisés, sont aussi soudain désabusés. Pendant qu'insensiblement la joie est devenue de la hargne et le courage de l'obstination, au bout d'une imperceptible usure, l'ardeur tombe soudain. Le gros des valets, l'origine de sa peur évanouie, feint de n'en avoir jamais eue. Les fossoyeurs se mettent alors au travail. Un linceul est jeté sur le lieu du crime. Et le souffle encore vivant d'un passé si présent est attaqué par l'art de la récupération, qui fige, transforme des idées en statues, des mouvements en oubli et en légende, en quelque chose de satisfait, de devenu, de privé de vie. La seconde raison de l'échec de la jonction du mouvement pakistanais de 1977 et du mouvement iranien de 1978, fut ainsi l'habileté des ennemis de cette jonction, au Pakistan, avec à leur tête le général Zia Ul Haq, général d'aussi peu de principes qu'il en a affiché beaucoup, représentant-type de cette nouvelle race de dirigeants, malins, sans scrupules, qui sont nés au milieu de l'adversité, et qui sont prêts, comme les voyous d'en face, à mourir sur place. Ce qui Mengistu a de grossier, nous voyons Zia le raffiner, et ce que Zia a de grossier, nous le verrons raffiné par Jaruzelski.

Les gueux du Pakistan avaient prouvé leur force en faisant tomber Bhutto. Faire tomber Zia aurait d'abord ramené Bhutto, qu'il était bien peu grisant de défendre. Dans ce peu de marge, Zia manoeuvrait avec astuce et célérité : il opposait la révolte à la religion (à laquelle il donne alors les traits de l'Etat), Bhutto à l'Islam (auquel il donne alors ses propres traits). Avec un pas d'avance sur les récupérateurs d'Iran, qui en apprirent beaucoup, il contrait et divisait les pauvres lentement désorientés, abusés et lassés, du Pakistan, qui eurent rapidement deux pas de retard sur ceux d'Iran, auxquels, par le jeu de miroirs cassés de divisions seulement religieuses, ils semblèrent et se crurent finalement opposés. Ainsi en juillet 1978, Zia forme un gouvernement qui s'affiche d'abord islamique, ce qui, par le biais d'un de ses composants, la Ligue Islamique, entraîne le PNA, et la confusion dans le parti de la rue : seul le PPP maintenant s'use encore sur le pavé ; l'amalgame entre ce sigle de la corruption et la foule anonyme est aussitôt proclamé : les 8 (jour du Vendredi Noir) et 17 septembre 1978, à Karachi et Rawalpindi, le 2 octobre à Lahore et Hyderabad, le 4 octobre à Multan, Zia laisse passer cette colère appauvrie et partisane. Quelques milliers d'arrestations précèdent le rejet d'appel de Bhutto le 6 février 1979, alors que le 10 (au début de la semaine d'insurrection à Téhéran) la shari'a islamique est introduite dans toute sa rigueur, entraînant le murmure du tiers shi'ite de la population à cause d'un impôt sunnite sur la richesse : on voit vers quelles basses-fosses le murmure est dévié, et comment la division est préparée et entretenue avec l'Iran. Le 4 avril 1979, Bhutto est pendu dans la prison de Rawalpindi. Les 4, 5, 6 et 7, des émeutes dans toutes les grandes villes du Pakistan sont la dernière grande colère des gueux, indignés qu'on ait pu agir sans leur bon vouloir, eux qui, il y a deux ans encore, défaisaient des gouvernements en corrigeant leurs polices. A Lahore, où le tiers de la ville est tenu par les barricadiers, et le commissariat central attaqué et détruit, la corde de la prison de Rawalpindi est déjà autour du cou de Zia. Mais, dans la perte de leur ennemi de toujours, Bhutto, et dans les vociférations de son clan, qui ressemblent tant à leurs propres cris sincères, les pauvres du Pakistan, opposés au bâton de leur propre religion, ont perdu leur âme. La campagne électorale, où Bhutto devient martyr public, est annulée le 16 octobre, 18 jours avant l'élection promise. C'est le vert très pâle de son Islam, sa solennité plutôt que sa colère, sa tiédeur plutôt que sa violence qui ont fait de cette campagne la dernière d'une guerre. La lassitude, la versatilité et le manque de perspective (qui est toujours le manque de théorie) ont enfin permis au fourbe Zia de désamorcer la poudrière sur laquelle il est resté assis.


Editions Belles Emotions
Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979, par Adreba Solneman Précédent   Table des    matières   Suivant