C) Les frontières de l'Iran


 

2) Les frontières géographiques de la révolution iranienne

Il y a de l'abus à dire "révolution iranienne" pour désigner la révolution qui a eu lieu sur le territoire de l'Etat d'Iran. En dehors de cette identité géographique, cette révolution n'avait rien de particulièrement iranien. D'ailleurs, l'Iran, comme l'a démontré l'effondrement de l'Etat en 1979, n'est rien qu'un Etat. En donnant ainsi le nom d'un Etat à une révolution, on cautionne des contresens comme "Etat révolutionnaire" ou des absurdités comme l'identité entre nationalisme et révolution. Si, en dépit de son impropriété, je maintiens quand même cette dénomination, c'est parce qu'elle est simple, et que plus qu'aucune autre elle évoque à tous ses contemporains les multiples et fortes images de l'hiver 1978-79, qu'aucune police n'a eu la présence d'esprit de censurer.

La révolution iranienne, donc, s'est faite à Téhéran ; puis dans d'autres villes. Les campagnes et les provinces n'ont que suivi, puis subi. Une des premières révélations de ce mouvement c'est la distance de la province à la capitale. Tant que le Shâh faisait l'unité de la révolte, celle des villes et des provinces paraît identique. Mais en 1979, toutes les provinces frontalières de cet hybride Iran sont en rébellion, mais sans aucune unité avec les gueux de Téhéran, ni même entre elles, si ce n'est qu'ils sont tous confrontés à la même police. Ainsi donc, l'agitation dans ces régions, ignorante des gueux de Téhéran et opposée aux effets de la leur, va constituer le premier sas de la révolution iranienne.

Hors d'Iran, il est nécessaire d'assigner une frontière à la révolution iranienne, afin qu'elle ne s'étende pas au monde. Et la frontière d'Etat, double barrage contre les idées en paix sociale, affaiblie, puis renforcée avec ostentation en guerre sociale, véhicule alors toute l'excitation et l'énervement qu'elle est chargée de contenir. C'est pourquoi, bien au-delà de la frontière de l'Etat iranien, la secousse, l'ambiance de la révolution iranienne, est ressentie directement dans le questionnement et la fébrilité soudains des pauvres de provinces et même d'Etats entiers.

Ainsi, la "révolution iranienne" aura accompli cet amusant prodige de transformer une ligne imaginaire et autoritairement gardée, en une surface, une série de marches d'Empire, de part et d'autre de cette ligne. Aiguillonnées directement par l'orage dont l'épicentre est Téhéran, et dont leurs chefs-lieux attirent la foudre comme des paratonnerres, les provinces frontalières iraniennes beuglent et s'émeuvent contre cet orage même ; et cette agitation où l'espoir et l'inquiétude se rencontrent pour le meilleur et pour le pire, fait partager cette ambiance intermédiaire entre la guerre et la paix à tout un troupeau de contrées tout autour de l'Iran. Ennemis de toutes les frontières, vous apprécierez les grotesques problèmes de contrôle qu'ont eu toutes les polices à dominer ce marais ; mais vous n'oublierez pas qu'il est aussi marais pour les assiégés, qui, s'ils ont eu le mérite d'y attirer un nombre non négligeable de valets, y ont aussi perdu des leurs, et n'ont jamais su le franchir pour en sortir.


Editions Belles Emotions
Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979, par Adreba Solneman Précédent   Table des    matières   Suivant