B) Du 17 février au 3 novembre 1979


 

7) Organisations ennemies

Pendant l'année 1979, l'image donnée de l'Iran était celle de fractions concurrentes, âprement engagées dans une course au pouvoir devenu vacant. De multiples organismes, partis, groupes, groupuscules y sont mêlés, divisés, et chacun possédant ses atouts et ses fiefs considéré comme un des multiples "centres de décision", l'ensemble formant un tragi-comique chaos. Selon qu'ils commettent une analyse "économique", "politique", "sociale", "théologique", "militaire" ou "globale", les rapporteurs ennemis divisent chaque "sphère" entre quatre ou cinq concurrents. Voilà des parties de Monopoly bien incompréhensibles, quoique bien excitantes. Mais pourquoi durent-elles si longtemps ? En 1979, lorsqu'elle parle de l'Iran, l'information ennemie ne parle que de cette situation si anarchique et compliquée, qui n'est la situation anarchique et compliquée que des valets d'Iran. Un luxe de détails : ce que disent et jusqu'à ce que pourraient faire même des valets subalternes, laisse l'impression qu'on a beaucoup, peut-être trop, parlé de l'Iran. L'ironie à propos de l'incapacité de ces valets d'Iran à reconstruire l'Etat, s'est vite muée en agacement face aux excès de cet Etat, jamais compris comme l'écho affadi des excès de ses gueux. Car les gueux et leurs conseils ne figurent pas dans cette façon de présenter comme un jeu de société l'histoire du monde en Iran, sauf comme ajout, comme cartes "Caisse de Communauté" ou "Chance".

Comme dans tout jeu dans l'histoire, l'Iran en 1979 n'est pas divisé en quatre ou cinq, mais en deux : les gueux qui tentaient de s'organiser en conseils, avec les forces et les faiblesses qu'on vient de voir, et les valets qui tentaient de s'organiser malgré les conseils, avec les forces et les faiblesses qu'on va voir. Ce désordre dans les lignes ennemies, si promptement rapporté par tous les observateurs, et si persistant, a plusieurs causes : la marchandise, molestée, conspuée, sa circulation endommagée, vit son rôle de moyen de communication dominant ébranlé ; l'autre moyen de communication dominant, l'Etat, discrédité par le régime du Shâh, continua d'être détruit pendant que les conseils ne cessaient de se renforcer ; les valets n'osèrent jamais reconnaître que leurs ennemis étaient les gueux et furent donc obligés de s'organiser contre des épouvantails qu'eux-mêmes avaient plantés : communisme, athéisme, retour du Shâh, impérialisme, etc., ce qui les opposa entre eux et nuisit, pour le bonheur mais aussi la confusion des gueux, à leur efficacité ; leurs organisations ne furent pas construites en fonction de la lutte présente contre les conseils, mais en fonction d'une paix sociale hors de portée ; enfin les valets furent divisés sur la stratégie à adopter : répression ou récupération, ou plutôt, quel dosage entre les deux ? C'est pourquoi, à côté d'un Etat sapé à la base, qui cherche à se raffermir par le sommet, des organismes officiels nouveaux se constituent, usurpant des prérogatives, tantôt s'opposant à l'Etat poussés par les gueux, tantôt servant l'Etat contre les gueux.


 

Editions Belles Emotions
Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979, par Adreba Solneman Précédent   Table des   matières   Suivant